J’ai trouvé ce livre dans une bibliothèque non loin de chez moi qui propose des livres d’occasion. Ça fait un moment que j’avais Philip Roth en tête et l’occasion a fait le larron quand je suis tombé sur ce roman en anglais intitulé Our gang.
Il s’agit d’un roman inspiré par une citation que Richard Nixon, alors président des Etats-Unis, a faite en 1972 sur le droit des fœtus. Philip Roth crée le personnage de Tricky Dixon, alter ego de Nixon détestable à souhait. Au moins aussi détestable que l’original si j’ai bien cerné ce que représente Nixon pour Philip Roth. Car le personnage du roman enchaîne les raisonnements absurdes. Il est capable de défendre tous les points de vue et leur contraire tant que cela lui permet de garder le devant de la scène. Il souhaite avant tout imposer sa version des faits au public. Philip Roth propose une belle démonstration de langue de bois, d’utilisation de la langue et de manipulation du discours. Son Tricky Dixon est maître dans les tournures de phrases et les techniques oratoires pour mystifier son auditoire. Pour ceux qui veulent aller plus loin sur ce sujet, je conseille d’ailleurs la lecture de Propaganda, d’Edward Bernays.
La première affaire sur laquelle se penche Dixon est de défendre un soldat américain qui a tué des civils au Vietnam. Non pas parce qu’il a tué des civils mais parce qu’il pourrait avoir tué une femme enceinte et donc un fœtus, ce qui pose problème alors même que Dixon a pris position pour défendre la vie de ceux qui ne sont pas encore nés. Ensuite Dixon déclare que les Boy Scouts sont les ennemis à abattre. En effet, ils manifestent contre lui car sa position sur les droits des fœtus revient pour eux à encourager la fornication. Entouré de son cabinet, il fabrique de toute pièce un bouc émissaire qui dévoie la jeunesse américaine. Après un vote totalement invraisemblable, le choix se porte sur un joueur de baseball qui a mystérieusement quitté son équipe pour aller vivre à Copenhague qui est commodément désignée comme la capitale mondiale de la pornographie, histoire d’avoir la morale de son côté (les Etats-Unis se sont d’ailleurs bien rattrapés depuis les années 70 en ce qui concerne la pornographie). De fil en aiguille, on apprend que les Etats-Unis envahissent le Danemark, sous le double prétexte de sauver Elseneur, le château d’Hamlet devenu entre temps un pan essentiel de l’histoire américaine, et de forcer le gouvernement danois à livrer le joueur de baseball, ennemi des Etats-Unis.
L’entourage du président américain est lui aussi décrit comme bête et prêt à toutes les manipulations pour cacher la vérité et détourner l’attention des médias et du public. En particulier sur l’assassinat de Dixon. Cette dynamique nauséabonde et cynique se poursuit même après la mort de Dixon alors qu’il est en enfer (évidemment) et qu’il convainc ses compagnons d’infortune de lui confier le pouvoir au détriment de Satan lui-même, présenté comme un traître en fait allié de Dieu et du Bien.
Vous l’aurez compris à travers ce résumé que Our Gang est une satire savoureuse et férocement drôle dans la critique de Nixon. Mais le plus triste dans ce qui est dénoncé est que ce roman demeure pertinent pour décrypter le discours politique même 40 ans après sa publication. Les moyens de communication ont changé mais, sans vouloir faire preuve de trop de cynisme, une des clefs du discours politique reste de présenter son point de vue comme le seul valide, quitte pour cela à discréditer ses adversaires et à prendre quelques libertés avec la vérité.