Le pavillon des cancéreux, Alexandre Soljenitsyne

C’est à croire que je me spécialise de plus en plus vers le roman médical (voir les murs et vol au-dessus d’un nid de coucou). Mais je quitte maintenant le monde de la maladie mentale avec le pavillon des cancéreux écrit par l’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne. De cet auteur j’avais déjà lu l’excellent Une journée d’Ivan Denissovitch il y a quelques années.

L’action se passe dans le service de cancérologie d’un hôpital situé dans une région de l’URSS qui est aujourd’hui l’Ouzbékistan. Plusieurs hommes viennent y faire soigner leur cancer par radiothérapie et hormonothérapie. Ces patients ont des origines différentes : ouvrier, paysan, étudiant, cadre du Parti Communiste, relégué ayant subi les foudres du pouvoir, scientifique contraint de travailler comme documentariste. On pensera en particulier à Roussanov, le cadre du parti, qui arrive hautain s’étonnant du peu d’égards qu’il reçoit en comparaison des autres malades mais aussi à Kostoglotov, le fort en gueule qui vient de passer plusieurs années au goulag et qui s’interroge sur les motivations des médecins. Mais ils ont tous en commun de devoir se battre pour leur vie. Le cancer a un effet égalisateur : peu importe leur passé, ces hommes éprouvent de grandes souffrances et se battent pour survivre. La maladie dé personnifie le malade jusqu’à un certain point, il n’est plus qu’un corps entre les mains des médecins. Et dans le pavillon des cancéreux, il y a aussi personnel qui travaille dans le service de cancérologie et qui, entre un système bureaucratique et des vies personnelles souvent sombres, est dévoué à trouver une façon de vaincre le cancer.

Le pavillon des cancéreux est un grand roman. J’avoue avoir un gros faible pour les romans réalistes mais ce livre réunit les principales caractéristiques du roman classique selon moi. Tout d’abord sur la forme il est accessible pour n’importe quel lecteur et la narration est exemplaire. Tout ce qui ne tient pas dans le texte écrit au présent fait l’objet de flashbacks. Il y a quelque chose de cinématographique dans ce procédé qui retient l’attention du lecteur dans le présent tout en peignant l’histoire personnelle d’un personnage.

Ensuite sur le fond, c’est là surtout que le pavillon des cancéreux est brillant. Soljenitsyne se livre à une critique de la société stalinienne. Le roman se déroule deux ans après la mort de Staline. Le régime soviétique montre de timides signes d’ouverture par rapport à la période stalinienne. La société se réorganise petit à petit. L’écrivain est ici engagé et dresse le portrait de l’époque stalinienne sous toutes ses facettes. Les passionnés d’histoire comme moi y trouveront leur compte. Même si Soljenitsyne est un écrivain qui a dénoncé le stalinisme, il n’y a pas vraiment de morale à ce roman. C’est une description objective des comportements humains pendant une période sombre de l’histoire humaine. Le peuple subit et tente de survivre. Le roman se termine sur un espoir très timide. Un des malades va mieux et revit alors que le printemps fait renaître la nature. Dans ces dernières pages, il y a une sensibilité vraiment profonde sur l’humanité qui vient clore un grand roman à la portée universelle. Le pavillon des cancéreux est intemporel. Il est beau et simple.

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Le joueur, Fedor Dostoïevski

J’ai bien aimé lire les Frères Karamazov mais je ne me voyais pas me lancer dans une autre grosse brique signée Dostoïevski (et oui parce que j’ai parfois la flemme de lire des longs romans). Le compromis aura été de lire Le joueur, un roman de taille raisonnable. N’ayez pas peur en voyant la couverture du livre ci-dessous, c’est une capture d’écran de l’édition électronique que j’ai lue avec ma liseuse.

Le narrateur, Alexis Ivanovitch, est employé comme précepteur par une famille russe. Il est au service d’un général qui attend le décès de la babouschka pour toucher un héritage conséquent. La famille du général se trouve dans une ville thermale allemande nommée Roulettenbourg. C’est une ville fictive qui compte un casino et en particulier des tables de roulette. Ce lieu s’avérera central dans le roman. Le général est le jouet d’une Française nommée Blanche de Comminges qui ne semble être avec lui que pour l’argent qu’il devrait toucher. Le général s’est d’ailleurs lui-même endetté auprès d’un autre Français, De Grillet, qui est de mèche avec Blanche pour délester le général russe de sa fortune potentielle. Le narrateur est lui-même amoureux de Paulina, la belle-fille du général. Cet amour n’est pas réciproque mais Pauline le provoque et s’amuse avec lui sachant qu’il s’exécutera par amour pour elle. Elle lui demande notamment de jouer pour elle à la roulette. Le narrateur conseillera ensuite la babouschka qui est novice en matière de roulette. Alors qu’il demeurait raisonnable quasnd il s’agissait de jouer avec l’argent des autres, il se perdra dans les affres du jeu lorsqu’il joue avec son argent, gagnant des sommes énormes pour les reperdre aussitôt.

Même s’il ne possède pas la profondeur des frères Karamazov (le joueur a été écrit en 3 semaines à peine pour répondre à une demande de l’éditeur de Dostoïevski), ce roman est intéressant à plusieurs points de vue.  Comme l’indique le titre, le jeu est au coeur de l’intrigue. Le narrateur tombe dans le piège fatal de la roulette : il se perd dans le jeu et dans spirale descendante : il mise gros, gagne gros, perd, essaie de se refaire et ne sait plus s’arrêter malgré des gains conséquents. C’est pour lui une dépendance, il devient un joueur compulsif : le jeu est sa priorité et il vit pour jouer.

Le Joueur dresse aussi le portrait de différents individus au sein de la noblesse européenne. Tous les personnage ont une moralité douteuse, ce qui ne les empêche pas de donner des conseils au narrateur alors qu’ils le voient s’enfoncer dans le jeu, voire de profiter de sa fortune éphémère. Cette assemblée est d’ailleurs une sorte d’Europe miniature où les caractères de chacun sont tirés de stéréotypes nationaux. Ainsi Dostoïevski vante l’âme russe par opposition aux caractères des Français et des Anglais qui ne trouvent pas grâce à ses yeux.

Je retiens donc de ma lecture un roman intéressant qui mérite d’être lu mais je n’en fais pas un incontournable.

Les frères Karamazov, Dostoïevski

Après les Bienveillantes et ses 900 pages, j’ai enchaîné avec la lecture d’un autre gros livre de 950 pages : Les Frères Karamazov de Dostoïevski. Il m’a fallu un certain temps avant d’en venir à bout !

Ce livre est assez dur à résumer. Les frères Karamazov est un roman complexe. Il ne raconte pas vraiment une histoire mais constitue un tableau de la vie en Russie à l’époque de l’écrivain. C’est d’ailleurs assez déstabilisant car je m’attendais à rentrer plus rapidement dans l’histoire. Il y a plusieurs livres dans ce roman et chacun possède son rythme propre. Il n’y a pas vraiment de début avec un événement particulier. On lit tout d’abord un portrait très complet de chacun des personnages, principalement les trois frères Karamazov et leur père. Ce dernier, Fédor Karamazov, est un vieux bouffon libertin qui a des visées sur les jeunes femmes de la petite ville où se déroule l’action du livre. Le fils aîné, né d’un premier mariage, s’appelle Dimitri. C’est un ancien soldat à qui l’argent file entre les mains et qui est un fêtard invétéré. C’est également un grand romantique qui cite Schiller par cœur. Les deux autres fils Karamazov ont pour mère la deuxième épouse de leur père. Le premier s’appelle Ivan est l’intellectuel de la famille. Profondément laïque, sinon anti-clérical, il a des opinions libérales sur le monde qui vont à l’encontre des traditions de la société russe. Aliocha est le plus jeune des frères. Il est très religieux au point de rentrer dans un monastère où il suit les enseignements d’un staret, un religieux d’expérience propre au christianisme orthodoxe. Aliocha est le plus mesuré des frères Karamazov. La première partie du livre consiste à présenter l’histoire de la famille Karamazov et à brosser le portait détaillé de chacun de ses membres. L’air de rien, Dostoïevski pose ainsi les bases et donne des indices sur la suite de l’histoire. L’événement qui vient bouleverser la vie de chacun est l’assassinat du père Karamazov et il intervient dans le troisième quart du livre. La dernière partie du roman est consacrée au procès de son meurtrier présumé, son fils aîné Dimitri. Un procès très médiatisé qui passionne la petite ville et retient l’attention dans le reste de la Russie.

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J’ai eu du mal à lire les frères Karamazov. On ne sait pas tout de suite quelle direction va prendre le roman. C’est une fois le livre refermé que celui-ci prend tout son sens. Les personnages principaux sont très contrastés et s’affrontent dans des joutes verbales incroyables. Dostoïevski va jusqu’à présenter des argumentaires d’une vingtaine de page pour exposer les idées de ses personnages. Il est parfois difficile de se concentrer pour suivre les subtilités des points de vue. C’est très dense. Les frères Karamazov n’est donc pas un roman à part entière. Le livre prend des airs d’essai philosophique et politique. Je suppose que le roman était à l’époque un bon moyen de contourner la censure pour présenter des opinions qui ne convenaient pas au pouvoir en place. Dostoïevski devait savoir à quoi s’en tenir, lui qui avait goûté au pénitencier en Sibérie pour avoir exprimé des idées un peu trop libérales pour son époque. L’auteur joue au chat et à la souris car aucun courant d’idée ne semble être favorisé plutôt qu’un autre dans le livre. La seule idée qu’on peut se faire des opinions de Dostoïevski résulte du sort qui est réservé à chacun des personnages à la fin du roman. En résumé, les frères Karamazov est un gros morceau, tant par son nombre de page que par sa complexité.

Ma note : 3/5.