Mémoires d’un perfectionniste, Jonny Wilkinson

Sauf erreur, je n’ai jamais évoqué ici ma passion pour le rugby. J’ai pratiqué ce sport pendant 15 ans et je garde un œil attentif sur le Top 14 et l’actualité du XV de France. Dans l’univers du rugby, il est un fait que peu contesteront : les Français n’aiment pas les joueurs anglais. La rivalité entre les deux Nations est longue et savamment entretenue par la presse des deux pays. Personne ne manquerait le « crunch », l’affrontement entre la France et l’Angleterre lors du tournoi des 6 Nations. C’est le match à ne pas perdre pour les deux équipes. Pourtant, dans ce contexte, il y a un joueur anglais que le public français aime sincèrement, c’est Jonny Wilkinson (sans h à Jonny). Plusieurs raisons à ça. La première est qu’il est un joueur de grande qualité, un des meilleurs demis d’ouverture de l’histoire du rugby. La deuxième est que Jonny Wilkinson est venu jouer en France, au RC Toulon pour être plus précis, et qu’il a terminé sa belle carrière dans le championnat français. J’ai souhaité lire son autobiographie car c’est un joueur qui m’a longtemps fasciné pour sa régularité face aux poteaux. C’est un des premiers buteurs de l’ère professionnelle à avoir été d’une régularité exemplaire.

Mémoires d'un perfectionniste, Jonny Wilkinson

Ces mémoires d’un perfectionniste portent très bien leur nom. Je savais Jonny Wilkinson particulièrement attaché à la performance mais je ne pensais pas que cela allait jusqu’à le rendre malade les veilles de match. Au point de rêver d’un bond en avant de quelques heures pour ne pas avoir à vivre le match. J’ai découvert une personne véritablement angoissée, ce que je ne soupçonnais pas en le voyant jouer tant le calme était sa marque de fabrique. A la lecture de son autobiographie, j’ai aussi appris son attachement très fort à son club de Newcastle puis à Toulon. Ce côté humain et chaleureux m’a agréablement surpris chez une personne à l’apparence médiatique froide. Comme quoi la personne et l’image qu’en donnent les médias n’est pas la même. Et d’ailleurs Jonny Wilkinson s’épanche à plusieurs reprises sur ses relations difficiles avec les médias. Porté aux nues comme le sauveur d’un pays après sa prestation géniale lors de la Coupe du Monde 2003 (ce drop à la dernière minute de la prolongation de la finale contre l’Australie, qui plus est sur son « mauvais » pied !), il a été par la suite vouées aux gémonies quand ses prestations ne suffisaient pas toujours faire gagner l’Angleterre. Ses blessures à répétitions ont aussi ralenti son activité et miné son moral de gagnant. En ce sens, le récit des hauts et des bas qu’il connaît est passionnant à suivre car présenté du point de vue d’un joueur d’exception.

En revanche, et ce n’est pas une surprise, cette autobiographie n’apportera pas grand chose à celui ou celle qui ne s’intéresse pas au rugby. Le travail éditorial a pour moi été bâclé. Après tout, le livre allait se vendre quelle que soit sa qualité. Pas de surprise avec une construction classiquement chronologique. Les anecdotes s’enchaînent parfois sans lien entre elles. Elles ont du ravir les journalistes au moment de la sortie du livre car faciles à sortir du contexte. Mais dans le récit, elles n’apportent pas beaucoup de matière. Une fois qu’on a compris le caractère obsessionnel de Jonny Wilkinson, il n’y a pas de surprise. J’ai eu un peu d’espoir à un moment donné quand il évoque le travail sur sa spiritualité mais ça retombe rapidement. Dans cette autobiographie, tout le monde est formidable avec Jonny Wilkinson : son préparateur physique, son coach pour buter, ses coéquipiers de Newcastle, de l’équipe d’Angleterre, de Toulon… Il est de bon ton de rendre des hommages dans une autobiographie mais là, c’est un peu trop pour moi. En tout cas pas contrebalancé avec des engueulades avec d’autres personnes. Certains désaccords sont évoqués mais de manière très subtile. C’est sans doute la classe anglaise et le côté gentleman de Jonny Wilkison mais ça donne un ton un peu trop « tout le monde est beau, tout le monde est gentil » au texte. Reste le récit d’un homme réellement attachant, monument du rugby moderne qui a participé à 3 Coupes du monde et qui a fait partie de la seule équipe de l’hémisphère nord à avoir remporté le trophée William Webb Ellis.

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Ginette Kolinka – Une famille française dans l’Histoire, Philippe Dana

Ginette Kolinka est une femme de 90 ans. A l’âge de 19 ans, elle a été déportée dans le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.

Ginette Kolinka - Philippe Dana

Philippe Dana était resté pour moi le présentateur de « ça cartoon », l’émission de dessins animés de Canal+ que certains d’entre vous ont peut-être connue comme moi pendant leur enfance. Quelle surprise de le retrouver auteur ! Avec ce livre Philippe Dana dresse le portrait d’une époque. Tout d’abord l’enfance de la jeune Ginette Cherkasky dans le Paris de l’entre deux-guerre. Entre le progrès social du Front Populaire et la montée de l’extrême-droite, c’est bientôt la Seconde Guerre Mondiale. Avec la défaite rapide de la France et la mise en place du gouvernement de Vichy arrivent des interdictions successives pour les Juifs, puis le port obligatoire de l’étoile jaune. La famille de Ginette parvient à fuir Paris et à atteindre la zone libre, non occupée par les Allemands. Jusqu’à la dénonciation qui conduira Ginette, avec plusieurs membres de sa famille à la prison des Baumettes, puis Drancy avant d’être mise dans un convoi ferroviaire à destination d’Auschwitz-Birkenau. Le récit de ces longs mois à côtoyer la mort tout en se retrouvant dépouillée de son humanité est tout simplement poignant et révoltant à lire.

Le récit que Philippe Dana a recueilli auprès de Ginette Kolinka constitue un témoignage essentiel des rares personnes qui ont survécu aux camps et aussi au temps qui passe. C’est une prise de conscience indispensable à l’heure où certains continuent à nier ou à minimiser ce processus de mort industrialisée et à l’heure où les discours d’extrême-droite connaissent un regain en France, dans plusieurs pays européens, aux Etats-Unis et en Russie.

Je reprocherais juste au récit quelques digressions sur la vie du célèbre fils de Ginette Kolinka. En effet elle est la maman de Richard Kolinka, le batteur du groupe Téléphone (aujourd’hui actif sous le nom Les Insus). Cela fait bien évidemment partie de la biographie de Ginette Kolinka mais j’ai senti un décalage avec le reste du roman.

Ginette Kolinka, une famille française dans l’Histoire est un roman que je n’ai pas lâché. J’en recommande la lecture. Merci Ginette Kolinka. Merci Philippe Dana.

Les p’tites têtes, Manuel Gasse

La recrue du mois publie un numéro spécial littérature jeunesse !

Franche rigolade assurée avec ce père qui compile les meilleures répliques de ses quatre enfants : un sans-faute !

Les ptites tetes - Manuel Gasse

Manuel Gasse est ce papa énervant qui est allé au bout de ce que chaque parent se promet de faire : « je vais noter dans un cahier les bons mots de mes enfants ». Bien souvent, malheureusement, le quotidien prend le dessus sur cette bonne résolution. Manuel Gasse a lui été persévérant et en a même fait un livre intitulé Les p’tites têtes.

Dans cet ouvrage sont compilées les remarques souvent très drôles de Philibert, Éli-Yan, Lévi et Marik, ses quatre garçons. Tantôt bien énervés, tantôt boudeurs, ces quatre petits bonhommes sont une source incroyable de bonne humeur pour le lecteur. J’ai en effet bien souri voire carrément ri à la lecture de leurs fulgurances, de leur naïveté et de leur logique implacable. Comme j’ai souvent lu ce livre dans le train, mes rires n’ont pas manqué de surprendre les inconnus qui voyageaient à mes côtés.

J’ai particulièrement apprécié l’exercice réalisé par Manuel Gasse pour sa sincérité. La vie de parent est livrée sans fard avec toutes les difficultés que cela représente pour les parents mais aussi tous les moments touchants procurés par les enfants. Pour autant, ces derniers ne sont pas mis sur un piédestal. Le livre aurait été moins plaisant si ça avait été le cas.

La construction de l’ouvrage est habile avec un regroupement selon des chapitres thématiques tels que « bonheurs simples », « et vlan dans le réel » ou encore « le temps qui file ». Ceci permet d’éviter l’écueil de la litanie de citations. Le thème de chaque chapitre est présenté rapidement, ce qui donne de la respiration à la lecture. Je retiens aussi l’énorme prouesse de l’auteur pour trouver des titres percutants : chaque anecdote fait en effet l’objet d’un jeu de mots qui fait systématiquement mouche (et je suis exigent en matière de jeux de mots).

Enfin, je ne peux pas passer sous silence les belles illustrations de Mathieu Potvin qui font des p’tites têtes un ouvrage agréable à découvrir.

The year of magical thinking, Joan Didion

Joan Didion est une journaliste américaine renommée. Elle a publié plusieurs ouvrages. Voici l’un d’entre eux sur un sujet particulièrement sensible, The year of magical thinking.

The year of magical thinking - Joan Didion

Ce que je pensais être au départ un roman est en fait un ouvrage qu’on peut apparenter à des mémoires. Joan Didion partage ici une tranche de vie particulière. Elle raconte les mois qui ont suivi le décès soudain de son mari John peu de temps après Noël. Ce drame intervient alors que sa fille Quintana est hospitalisée pour une maladie très sérieuse, quelques mois à peine après son mariage. The year of magical thinking (L’année de la pensée magique dans sa version française) est le récit de cette année difficile qui a suivi le décès de son mari. Le titre fait référence en anglais au fait de prendre ses désirs pour des réalités, à défaut d’une meilleure traduction. Concernant un décès, on veut croire que ce n’est pas vrai.

Joan Didion propose avec ce livre une réflexion sur le deuil. Le livre n’est pas réellement structuré, il suit les pensées évidemment décousues de Joan Didion alors qu’elle se débat avec le deuil et les problèmes de santé de sa fille. Elle témoigne du fait que le deuil n’est pas un processus linéaire. C’est un parcours sinueux, révélé par une narration non chronologique, et qu’il n’y a pas de guérison. Le récit honnête de la journaliste américaine est poignant. Elle revit les moments difficiles, analyse a posteriori ces moments et les différentes étapes de leur vie avec son mari et sa fille. Au fur et à mesure du temps qui passe, elle redonne sens à des conversations et des moments passés ensemble. Joan Didion se livre totalement. La transparence va jusque dans les moments où son esprit s’égare et refuse la mort de John.

Appréhender cette réalité soudaine est au cœur du processus de deuil. Le fait d’avoir lu ce livre en anglais m’a fait prendre conscience d’une nuance qui existe dans la langue anglaise et à ma connaissance pas en français. L’anglais fait en effet la différence entre grief, qu’on peut résumer comme étant la réaction émotionnelle suite au décès d’un proche, et mourning, un processus du deuil plus long qui consiste à s’adapter au changement induit par le décès.

Le meilleur des insultes et autres noms d’oiseaux, Jean-Paul Morel

Un titre aguicheur et me voilà avec un petit livre entre les mains. Il s’intitule Le meilleur des insultes et autres noms d’oiseaux et il a été écrit par Jean-Paul Morel.

Le meilleur des insultes

Voici une mini anthologie des insultes en langue française. Y sont rassemblés une multitude de textes où les grands (et moins grands) auteurs français s’affrontent au travers de lettres et de tribunes enflammées. La progression du livre est chronologique : de Rabelais aux surréalistes. En effet, qui mieux que les écrivains pour trouver le meilleur terme pour toucher son adversaire ? Et il faut avouer que les littérateurs ne manque ni de vocabulaire ni d’imagination quand il s’agit de moquer un confrère (ou une consœur : George Sand n’y échappe pas). Malgré ces dissensions au sein du corps des écrivains, l’Académie Française est là pour les rassembler. C’est en effet une cible de choix pour les insultes. Un chapitre entier de l’ouvrage y est consacré.

Ce livre possède les inconvénients de ses qualités (et inversement). Il a pour lui son format court et facile à appréhender avec des textes soigneusement sélectionnés. Mais le tout manque d’analyse et de mise en contexte. Rien d’étonnant vous me direz car c’est la règle du jeu dans la collection Mille et une nuits. Je suis tout de même déçu car quelques bribes d’analyse sont livrées au début du livre mais ensuite ce ne sont que des enchaînements de citations.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Qu’il s’agisse de longues charges ou de courts épigrammes, la langue française permet de varier les plaisirs quand il s’agit de’insulter quelqu’un. Quelle belle langue quand même ! 🙂

Florilège d’insultes

Voici un épigramme favori qui représente bien la créativité et la férocité de Voltaire quand il s’attaque à Jean Fréron.

Un jour au fond d’un vallon
Un serpent piqua Jean Fréron
Que croyez-vous qu’il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva.

Ou encore une pique courte mais redoutablement efficace de Georges Bernanos à l’endroit de l’Académie Française :

Quand je n’aurai plus qu’une pire de fesses pour penser, j’irai l’asseoir à l’Académie.

Un été avec Montaigne, Antoine Compagnon

Pendant l’été 2012, Antoine Compagnon, professeur au collège de France, a animé une chronique sur France Inter à propos des Essais de Montaigne. L’ensemble des ses interventions à la radio ont été rassemblées dans un petit livre intitulé Un été avec Montaigne.

un été avec Montaigne, Antoine Compagnon

Comme beaucoup d’étudiants, j’ai croisé Montaigne quand nous avons abordé le thème de l’écriture de soi. En effet, Montaigne consigne dans les Essais des réflexions sur ses expériences, sur sa conception de la vie, en somme sur sa philosophie. Au risque de faire hurler les puristes, on pourrait comparer les Essais à un blog intimiste des temps anciens. Et Antoine Compagnon signe lui même de courtes chroniques qui pourraient elles aussi tenir du blogue. Lourde tâche donc que de commenter sur un blogue un livre qui commente un livre. La mise en abyme ultime…

Avec son explication de texte qui vulgarise des extraits précis des Essais, Antoine Compagnon nous rend Montaigne très proche.  Il a l’air bien sympa le Montaigne qui nous est décrit : il aime se promener à cheval, il est entier et ouvert dans ses débats avec les autres, il est très fidèle en amitié. Nourri par les penseurs de l’Antiquité, Montaigne croit dans l’oisiveté. Le fait de s’être retiré de la vie publique lui donne l’occasion d’une réflexion sur lui-même : la solitude favorise la connaissance de soi. Mais plutôt que de garder ses réflexions pour lui, Montaigne a choisi de consigner ses réflexions par écrit afin de donner un sens à sa démarche.

Montaigne, tel que décrit par Antoine Compagnon, est aussi un homme de son époque. La découverte de l’Amérique est récente et il s’inquiète des effets de la colonisation sur les populations autochtones. Un point de vue pour le moins progressiste au  XVIe siècle ! Montaigne évolue par ailleurs dans une époque violente : les affrontements entre Catholiques et Protestants sont la source de vives tensions. La violence est également perceptible au travers de la révolte de la gabelle dont Montaigne est un témoin direct. Cet épisode tragique aura des conséquences sur sa conception de l’exercice de l’autorité.

La qualité principale de Montaigne, souvent rappelée par Antoine Compagnon, est qu’il fait preuve de prudence et est méfiant envers l’air du temps. Mais il est surtout méfiant envers lui-même. Il se sait inconstant, ce qui fait des Essais un ouvrage qui a évolué au fur et à mesure des révisions et des corrections apportées par Montaigne lui-même.

Antoine Compagnon vulgarise avec brio les Essais de Montaigne et donne envie d’en savoir plus. Ce que ne parviennent pas toujours à faire les cours de français et de philosophie. Un été avec Montaigne se savoure au coup par coup ou d’un bloc.

Métronome, Lorànt Deutsch

Ayant toujours quelques métros de retard (ah ah !), je viens de terminer Métronome, un ouvrage écrit par l’acteur français Lorànt Deutsch qui, découverte pour moi, est un passionné d’Histoire. Ce livre a connu un gros succès il y a 2 ans et a depuis été proposé dans une version illustrée.

En résumé, l’auteur prend le prétexte de s’intéresser aux stations de métro parisiennes pour faire découvrir au lecteur l’Histoire de Paris et plus largement de l’Histoire de France. En effet, les destins de la France et de Paris sont depuis longtemps entremêlés. Tout commence avec les Gaulois qui ont été les premiers à s’établir sur les bords de la Seine. Mais il semblerait qu’ils se soient plutôt installés du côté de l’actuelle Nanterre que dans le centre de Paris. L’île de la Cité a commencé à jouer un rôle central sous l’Empire Romain. Rôle qui s’est poursuivi sous les Mérovingiens et les Carolingiens de manière différentes selon les rois : ainsi Noyon, Laon et Aix-la-Chapelle ont pu être préférées à Paris à certaines époques et au gré des souverains. Paris devient ensuite la véritable capitale du royaume français sous la férule des Capétiens. Ce rôle central se poursuivra sous la Révolution et les différentes Républiques jusqu’à nos jours.

L’Histoire de Paris est également indissociable du l’Histoire du Christianisme. Les cathédrales et églises constituent des témoignages durables de certains épisodes historiques. Mais il faut parfois se muer en enquêteur pour trouver des traces plus discrètes de l’Histoire. Ainsi Lorànt Deutsch convie le lecteur à découvrir les vestiges de l’Histoire parisienne. On le suit par exemple dans les rues de Paris à la recherche des vestiges du rempart construit à l’époque de Philippe-Auguste ou dans la cave d’un restaurant où se situerait le dernier cachot de la Bastille encore en état.

Métronome est aussi un hommage au peuple parisien qui a su à travers les âges survivre aux envahisseurs depuis le temps des invasions vikings et a fait montre d’un caractère bien trempé à travers les siècles. Les épisodes sanglants sont nombreux : guerres de religions, guerres d’influence entre différentes familles, rien n’a été épargné à Paris.
Si le livre est agréable à lire pour quelqu’un qui s’intéresse à l’Histoire, il devrait être encore plus intéressant pour quelqu’un qui connaît très bien Paris et qui situe les différents lieux mentionnés dans Métronome. Ma culture parisienne n’étant pas très approfondie, je me suis trouvé un peu bloqué quand certaines rues ou certains quartiers que je ne connais pas du tout sont cités. Malgré tout, la passion de Lorànt Deutsch est communicative dans ce livre qui se lit très bien.

Concernant la version illustrée que j’ai également eue entre les mains, elle est plus un complément de la version texte qu’un ouvrage indépendant. Je ne la recommande pas sans lecture préalable de la version originale de Métronome.

Consider the lobster, David Foster Wallace

Que peuvent bien avoir en commun une convention de l’industrie pornographique américaine, la sortie d’un livre sur les usages de la langue anglaise, l’autobiographie d’une joueuse de tennis des années 80, un festival de homard dans le Maine, une émission de radio d’opinion conservatrice, les événements du 11 septembre 2001 et la campagne de John McCain lors des primaires républicaines de 2000 ?
Ces sujets sont emblématiques des Etats-Unis au tournant du siècle et ont été couverts par David Foster Wallace. Ces articles ont été publiés dans des magazines tels que Rolling Stone, Premiere, New York Observer, Gourmet, Village Voice ou encore the Atlantic Monthly. Ils sont disponibles dans un recueil d’articles intitulé Consider the lobster qui a été publié en 2007. Un ouvrage pas encore traduit en français pour le moment.

Si je l’ai d’abord connu comme romancier avec Infinite Jest, David Foster Wallace est avant tout un journaliste. Il maîtrise parfaitement le journalisme de magazine à l’américaine où l’article est un récit à la première personne du singulier. On aime ou on n’aime pas ce style mais c’est un genre journalistique qui me plaît beaucoup car il permet d’être plongé aux côtés du journaliste dans son enquête. C’est d’autant plus intéressant que DFW travaille ses sujets à fond et qu’il ne recule pas à partager des éléments techniques. Je le crois capable de monomanies successives en fonction de ses missions. Ainsi il informe le lecteur qu’il a passé les mois qui précèdent son article à relire Dostoievski (mais si souvenez-vous des frères Karamazov et du joueur) et les principaux ouvrages critiques de son œuvre. Il va aussi s’intéresser au fonctionnement des mesures d’audience dans le domaine de la radio et aux fusions entre grands groupes médiatiques. Comptez sur David Foster Wallace pour ne pas rester à la surface des choses. Mais DFW était un journaliste un peu iconoclaste. J’ai retrouvé les mêmes éléments de style qui font d’Infinite Jest un roman si particulier : des digressions, des notes de pied de pages remplissant une demi voire une page entière, des notes dans les notes, des articles longs etc.

Un exemple de digression : la sortie d’un ouvrage de référence sur le bon usage de la langue anglaise est l’occasion de consacrer 60 pages à plusieurs décennies d’affrontement entre deux écoles de pensées : celle qui pense que l’usage doit s’adapter au langage courant et celle qui pense que les règles syntaxiques et grammaticales doivent demeurer identiques quelles que soient les milieux sociaux et les modes des locuteurs. Donc vous pensiez lire un article qui commente la sortie d’un livre mais vous voilà plongé dans des querelles linguistiques très pointues.

Autre exemple: amené à couvrir un festival du homard dans le Maine pour le compte d’un magazine culinaire américain, DFW élargit le débat aux souffrances réelles ou supposées des homards quand on les immerge dans l’eau bouillante. Le sujet de départ était de présenter une manifestation culturelle et gastronomique mais on termine l’article sur un débat scientifique (est-ce que les homards ont un système nerveux qui leur fait ressentir de la douleur au moment où ils sont ébouillantés ?) et éthique (est-il acceptable de consommer des animaux, homards ou autres, s’ils souffrent au moment de leur mise à mort ?).

Cette manie du hors-sujet pourrait décourager certains lecteurs mais il se trouve que je suis quelqu’un qui aime être surpris au cours d’une lecture, surtout si ça me permet d’approfondir un sujet que je ne connais pas. Il faut être curieux de nature pour suivre David Foster Wallace dans ses cheminements. Et mieux vaut aussi avoir l’esprit bien fait pour suivre les raisonnements proposés. Vous l’aurez compris, David Foster Wallace est un fou furieux : un maniaque à la fois du détail et du contexte global d’un article. Il ne faut donc pas s’étonner si Rolling Stone, commanditaire de l’article sur la camapgne de John McCain en 2000, a sérieusement coupé dans le texte original qui est livré dans ce recueil d’articles.

Les différents articles qui composent Consider the lobster sont de qualités variables. Les meilleurs sont ceux où DFW peut s’exprimer sans limite d’espace. Je retiens tout particulièrement Authority and American usage (sur les bons usages de la langue anglaise), Up Simba (sur la route avec l’équipe de campagne de McCain) et Host (dressant le portrait de l’animateur d’une émission de radio d’opinion nocturne). A propos de ce dernier article, je ne résiste pas avec la photo ci-dessous à vous montrez à quel point la mise en page de l’article traduit bien le côté complexe de l’esprit de David Foster Wallace (cliquez pour agrandir).

Pouvoir et Terreur : Entretiens après le 11 septembre, Noam Chomsky

Spécialiste de la linguistique, Noam Chomsky est cet universitaire américain qui est devenu l’emblème d’une certaine contre-culture pour sa capacité à déconstruire le langage des médias et des autorités. Année après année, il explicite le choix des mots des politiciens et des journalistes. Sa constance est d’autant plus admirable que ses positions ne sont que très rarement relayées par les grands médias.

Les entretiens rassemblés dans cet ouverage ont eu lieu quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001 et tout juste avant l’intervention américaine en Irak. Les attentats du 11 septembre sont pour Chomsky le prétexte de parler de terrorisme d’État. Comme dans de nombreux de ses ouvrages, il dénonce la politique de deux poids deux mesures de la politique des États-Unis et des États occidentaux. En matière de terrorisme, le discours dominant dépend avant tout de qui commet l’acte. Ainsi l’opinion publique américaine s’indigne des actions des terroristes sans posséder le recul sur les propres actions de son gouvernement. Celui-ci entreprend en effet selon Noam Chomsky des actions qui pourraient tout aussi bien étre qualifiées de terroristes. Pire encore, ce terrorisme n’est pas le fruit d’individus mais d’un État qui se veut démocratique. Le terrorisme est donc institutionnalisé. Chomsky illustre son propos d’exemples d’interventions du gouvernement Reagan en Amérique Centrale (contre les mouvements d’extrême gauche) et au Liban (contre le Hezbollah). Le point le plus percutant de son argumentation est corrélation entre les montants de l’aide américaine à certains pays et les violations des droits de l’homme dans ces mêmes pays. La démocratie ne s’exporte que dans les discours.

Pouvoir et terreur est donc un ouvrage intéressant qui met en perspective certains événements et surtout leur traitement médiatique. Les médias et le langage sont au coeur du propos de Noam Chomsky. Il attire en particulier l’attention du lecteur sur les relations entre les dirigeants des empires médiatiques et le pouvoir politique (un constat qui ne saurait bien entendu se limiter aux États-Unis).

Aussi pertinent et nécessaire qu’il soit, cet ouvrage n’est pas  différent des autres livres de Noam Chomsky que j’ai pu lire par le passé.  Il est là pour marteler son message avec constance. Pouvoir et terreur est donc dans la continuité du reste et, si vous avez déjà lu un certain nombre de livres de Noam Chomsky, vous pourrez trouver qu’il s’agit d’une redite.

Indignez-vous !, Stéphane Hessel

Indignez-vous ! est un petit ouvrage (30 pages à peine) qui est parmi les meilleures ventes de livres en France en ce moment. Et il ne coûte que 3 euros !

Ce tout petit format est un texte d’opinion écrit par Stéphane Hessel, un Français de 93 ans qui a été résistant pendant la seconde guerre mondiale et membre de la commission internationale qui a rédigé la déclaration universelle des droits de l’Homme en 1948. Il s’agit donc d’un homme qu’il vaut la peine d’écouter quand il prend la parole.

Stéphane Hessel enjoint ses lecteurs à savoir faire preuve d’indignation. Pour lui, l’indifférence est la pire des attitudes. Parmi les motifs qui méritent l’indignation dans le monde qui nous entoure, Stéphane Hessel cite l’écart croissant entre les riches et les pauvres, les droits de l’Homme qu’il faut continuer de promouvoir et l’état de la planète. Il illustre son propos avec une cause qui lui tient à cœur : le sort de la Palestine.

Quelle forme doit prendre l’indignation ? Stéphane Hessel préconise la non violence et la conciliation des cultures différentes. Ses modèles en la matière sont Nelson Mandela et Martin Luther King. Son credo est l’insurrection pacifique.

S’il reconnaît les avancées réalisées au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle (fin du communisme, fin de l’apartheid, entre autres), il en appelle à une lutte contre les moyens de communication de masse qui favorisent la consommation de masse et l’amnésie collective.

Les propos de Stéphane Hessel sont des évidences qu’il demeure nécessaire de rappeler. Il est toutefois un peu prisonnier du format du livre. Son texte est écrit à la façon d’une lettre d’opinion dans un journal et certains sujets auraient pu être développés plus longuement. Reste que cet appel citoyen mérite d’être lu.

Publié chez Indigène Editions.