Underworld, Don DeLillo

Je n’avais jamais entendu parler de Don DeLillo jusqu’à ce que Chantal Guy en parle rapidement dans plusieurs de ses chroniques dans la Presse. Et pour cause, cet auteur américain est très avare en apparitions publiques et en entrevues. Après quelques recherches, j’ai décidé de me procurer Underworld qui est souvent présenté comme son livre le plus réussi.

Underworld commence par une scène sportive ayant lieu en 1951. On assiste à un match de baseball entre les Giants de Manhattan et les Dodgers de Brooklyn, deux équipes qui ont aujourd’hui déménagé sur la côte Ouest des Etats-Unis (San Francisco et Los Angeles respectivement). Déjà à l’époque, les deux équipes entretenaient une grande rivalité. Ce match particulier est une partie historique qui restera gravée dans l’iconographie sportive des Etats-Unis : l’histoire du shot heard around the world.
Nous voilà donc dans le stade de Polo Grounds avec Cotter, un jeune noir qui resquille pour entrer et assister à la partie. Don DeLillo livre une description minutieuse de l’ambiance et des personnes présentes : les joueurs, le commentateur et même J. Edgar Hoover, le célèbre directeur du FBI et Frank Sinatra. Pas moins de 60 pages sont consacrées à cette partie de baseball. Le jeune Cotter se débrouillera pour attraper et repartir avec la balle du match. Cette dernière servira de fil conducteur pendant une partie du roman. L’une des personnes qui l’aura en sa possession s’appelle Nick Shay et c’est le personnage central de Underworld. Nous le suivons sur une période de près de 50 ans : sa vie de couple et son travail dans les années 90, son enfance et sa jeunesse à New-York dans les années 50, les relations avec son frère, jeune prodige des échecs qui participera comme chercheur à la course à l’armement avec la Russie, son aventure avec une artiste renommée qu’il a croisé des décennies auparavant.
En bref, Don DeLillo nous raconte à travers Nick Shay et des dizaines d’autres personnages une histoire de l’Amérique au cours de la seconde moitié du vingtième siècle.

Nous assistons notamment à l’explosion de la navette Challenger, aux pensées d’un homme devant la plus grande décharge du New Jersey, à la représentation de l’assassinat de Kennedy, aux meurtres perpétrés par un serial killer sur les routes du Texas, à une première de film ennuyante et à l’instant clé qui verra la vie du jeune Nick Shay prendre un tournant inattendu. Tous ces moments seront la source de questionnements et de réflexions de la part des personnages du roman.

Le rythme narratif est très lent, presque insupportable par moment tellement DeLillo veut être minutieux dans son récit. Il veut partager avec le lecteur l’intégralité d’une scène jusque dans ses moindres détails. Mais même si ça n’a pas toujours un sens évident, les échanges verbaux, les descriptions de lieu, le langage non verbal et les pensées des personnages, tout ça n’est jamais gratuit. Cela concourt à dresser un tableau réaliste de la vie de ses personnages. Ce qui peut paraître décousu est en fait très habilement construit. Très souvent, l’histoire nous est racontée comme si on était dans le cerveau des personnages, on passe vite d’une idée à l’autre. Les pensées s’intercalent avec les dialogues. L’exemple le plus frappant est quand Nick a une conversation avec sa femme dans le lit conjugal. Cette conversation paraît complètement décousue pour le lecteur mais elle suit la logique de leurs deux esprits qui ont l’habitude de fonctionner ensemble. J’ai eu l’impression de plonger dans les pensées de chacun des personnages, d’entrer dans leur logique parfois tordue, dans leurs tourments et dans leurs passions. Don DeLillo joue avec la chronologie de cette deuxième moitié du vingtième siècle, une époque où les angoisses des individus sont omniprésentes. La tension est permanente à la lecture de Underworld. Ce sous-monde est tout ce qui sous-tend les relations entre les individus.

Notons que Underworld fait la part belle aux années 50 qui dont Don DeLillo fait la genèse de l’Amérique moderne. Et le berceau en est New-York. Non pas le riche Manhattan mais les quartiers moins reluisants du Bronx et de Brooklyn avec leur population d’immigrants, de petites frappes et de piliers de la communauté.

Je recommande donc chaudement la lecture de Underworld, disponible en français sous le titre d’Outremonde. La lecture en est agréable à condition d’accepter de se laisser emporter par son rythme si particulier. C’est une œuvre magistrale qui se déguste lentement.

5 réflexions au sujet de « Underworld, Don DeLillo »

  1. Je suis en train de lire The Falling Man (L’homme qui tombe), son roman sur le 11 septembre. Je ne sais pas encore trop quoi en penser… par contre cette couverture d’Underword, c’est un peu surprenant, non ?

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  2. @ Loïc : Underworld m’a donné envie d’en lire plus de Don DeLillo. Je crois que le bonhomme est plutôt productif. Ca vaut peut-être le coup d’en essayer un autre ?
    @ Emma : j’ai aussi Falling Man dans ma bibliothèque. Je me le garde pour un peu plus tard. Quand à la couverture de Underworld, elle m’a frappé aussi mais le roman a été publié avant le 11 septembre 2001. À droite des tours, c’est la silhouette d’un oiseau, pas d’un avion.
    @ Roxane : et bien merci beaucoup, pour une fois que je gagne quelque chose 😉

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