Génitrix, François Mauriac

Après le nœud de vipères et Thérèse Desqueyroux, voici un autre roman de François Mauriac : Génitrix. Comme les deux autres, Génitrix m’a laissé une forte impression à la fois par la qualité littéraire du livre et par le sujet traité.

Dans une vieille maison de la région bordelaise, Mathilde se remet difficilement d’une fausse couche. Son mari Fernand Cazenave l’a épousée tardivement alors qu’il entrait dans la cinquantaine. Ce mariage lui a finalement permis d’échapper à sa mère Félicité, une femme froide qui domine son fils depuis toujours. Pourtant, plutôt que de veiller sur son épouse, Fernand dort maintenant dans la chambre voisine de celle de sa mère. L’arrivée de Mathilde a enlevé à Félicité l’influence qu’elle avait sur son fils. Mais elle profite de la convalescence de la malade pour essayer de reconquérir Fernand.

Quel roman exceptionnel que Génitrix ! La situation est simple : c’est le combat d’une mère qui refuse de relâcher l’emprise qu’elle possède sur son fils. Mais le roman est aussi complexe car il n’est pas facile de rendre sur papier les subtilités des relations entre la mère et le fils. François Mauriac décrit très bien la force de la figure maternelle par opposition à un fils faible et effacé. La mère est ici un vrai mauvais personnage. L’amour pour son fils est véritable mais étouffant. Mais pas question pour Mauriac de dépeindre Fernand comme une victime car il se complait dans sa faiblesse et dans son besoin maladif de la présence d’une mère forte. La mère et le fils se sont construit au fil des années une relation malsaine.

Le roman est relativement court, moins de 200 pages. Mais quelle intensité ! Je suis vraiment devenu fan de François Mauriac et de son écriture simple et si efficace. Une fois encore, on comprend que pour lui la famille est une prison. Une guerre d’usure où tous les coups sont permis mais sans que jamais la confrontation libératrice ne se produise. Cette guerre froide devient une lecture que je recommande absolument.

10 réflexions au sujet de « Génitrix, François Mauriac »

  1. De Mauriac, je n’ai lu que Thérèse Desqueroux qui m’a laissé une forte impression. Ton commentaire me donne vraiment envie de continuer à le découvrir. Je note et surligne! 🙂

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  2. Je publie ici un commentaire reçu par courriel. L’auteur en est Jacques Nadeau, professeur de littérature retraité du Collège Édouard-Montpetit de Longueuil.
    Merci à lui de partager avec nous cette analyse très complète de Génitrix de François Mauriac !

    Genitrix (1923) est un bel objet littéraire grâce à la qualité de sa langue et la tension dramatique qui sustente l’histoire. Dans la vieille maison bourgeoise du Langon, complètement coupée du monde extérieur par une immense futaie et de hautes palissades, Félicité Cazenave savoure son triomphe, adossée à la porte de la chambre derrière laquelle agonise Mathilde, sa bru. Elle pourra enfin emprisonner davantage son fils Fernand dans la «toile gluante» qu’elle a tissé pour mieux le garder près d’elle. Il aura fallu à peine deux mois pour que ce grand enfant de cinquante ans déserte le lit nuptial pour aller s’installer dans la «chambre-utérus » contiguë à celle de la mère. Ainsi ce roman raconte les affres d’un fils écrasé par une ogresse.
    Cette histoire est racontée par un narrateur omniscient dans un récit court, écrit avec une prose d’un classicisme consommé. Dès le début de l’histoire, le narrateur met Mathilde à l’avant-scène. Elle est alitée et souffrante parce qu’elle vient de perdre son nouveau-né en couches. Exclue et abandonnée par le duo mère/ fils, Mathilde se trouve esseulée dans la chambre maritale. Avec Marie, la serve dévouée, nous assistons impuissant à la scène et voyons peu à peu la vie s’échapper du corps fiévreux et grelottant de Mathilde qui, finalement, meurt ignorée de tous : « Aucun visage en larmes [… ] ne lui permit de mesurer sa fuite glissante vers l’ombre. Elle eut la mort douce de ceux qui ne sont pas aimés », conclut le narrateur.

    Les quelques impressions qui suivent ont pour but d’aider le futur lecteur de Genitrix. Elles s’articulent autour du sens du titre du roman, essaient de mettre en relief deux tonalités fort différentes dans la description des personnages de Raymond, petit-fils de Marie, et de Mathilde. Finalement, nous terminerons notre réflexion sur le thème densément riche de la mort qui sert ici d’adjuvant pour Fernand afin qu’il puisse s’affranchir de la tutelle de la mère.

    Le titre

    Le titre vient du latin («genitrix, genitricis») et signifie la «mère par excellence ». Or ce titre est tout à fait pertinent et fort bien choisi puisqu’il s’agit ici de la « genitrix » qui dévore le futur genitor. À la lecture du roman, nous voyons très nettement la fonction captatrice et castratrice de cette ogresse vis-à-vis du fils.

    Deux petites touches différentes

    2. Vison omnisciente oblige, c’est donc par la médiation du narrateur que nous aurons le point de vue de Fernand à propos de deux personnages à un moment de l’histoire. Ainsi, pour décrire Raymond, le petit-fils de Marie, le narrateur trouve une tonalité et une couleur d’une très belle sensualité qui passe par l’amour du détail et qui étonne si on fait la comparaison entre la manière dont il nous peint son épouse, Mathilde, et les procédés rhétoriques dont il se sert pour nous donner à VOIR le petit Raymond. Voyez pour vous-même. Pour nous présenter Raymond, le narrateur affûte sa plume et la trempe dans une palette bien garnie. L’image du « petit merle » gouailleur qui cherche à « s’envoler » s’impose d’emblée à son esprit. Trois comparaisons ( « sa poitrine cuite comme une poterie»; « ses yeux pareils à des grains de chasselas roux»; « le cheveu noir hérissé comme de la plume ») et une cascade de métaphores ( «mains crevées d’enflures et souillées d’encre»; «enfant radieux»; «cherche à s’envoler» et « [ses] pieds nus et purs claquent sur les dalles usées», etc.) ainsi qu’un champ lexical juteux et sensuel; bref tout cela concourt à nous faire sentir la présence charnelle de ce petit chenapan qui titille l’imaginaire de Fernand grâce à la tendre complicité du narrateur. Par contre, quand Fernand se trouve seul à contempler le visage éthéré de Mathilde dans la chambre mortuaire, on peut dire sans se tromper que la palette du narrateur est moins bien garnie. Deux métaphores mi-religieuses et mi-abstraites («figure [… ] inondée de paix et «figure délivrée»)s’imposent dare-dare à l’esprit du narrateur pour célébrer ce qu’il appelle cette « beauté éternelle» de Mathilde. Même si tout cela nous semble désincarné, on doit reconnaître que la perception que Fernand se fait maintenant de son épouse morte est à des années-lumière de l’indifférence dont il l’affublait depuis son mariage. La Mathilde qu’il a toujours ignorée à cause de la présence encombrante de sa mère dominatrice, eh bien, cette Mathilde-là s’est métamorphosée, grâce à la mort comme un cadeau qui confère une aura merveilleuse à cet être avec qui il aurait pu filer le parfait bonheur. D’où l’«enchantement amer» que lui procure ce constat. Avec cet oxymoron, nous sommes aux antipodes de la fascination jubilatoire qu’exerçait sur lui le petit Raymond. Nous pouvons donc en conclure que Fernand contemple le visage éthéré de son épouse avec grâce et pudeur; alors qu’il donne libre cours à sa fantaisie amoureuse lorsqu’il s’agit de nous peindre le petit Raymond. Cela dit, nous fermons volontairement la porte à toute interprétation freudienne de cette ambivalence amoureuse…

    Mors janua vitae

    C’était écrit dans le destin des personnages principaux et annoncé par cet oiseau mythique et mortifère : la «frégasse». La mort se révèle être un détonateur, une force dynamique qui régénère Fernand. Elle dévoile des « champs de lumière » insoupçonnés et ouvre la porte à un autre état. Ainsi, se croyant enfin débarrassée de l’«ennemie» qui lui volait son fils, Félicité déchantera vite lorsqu’elle se rendra compte de la transformation subite de son fils qui devient littéralement hanté, hypnotisé par le visage éthéré de son épouse endormie dans son dernier sommeil. Il la voit enfin telle qu’elle est et telle qu’il n’a jamais su la voir de son vivant : généreuse, douce, pacifiante et terriblement sereine. Fasciné par cette révélation soudaine, Mathilde occupe désormais tout son espace mental. Il quitte la «chambre-utérus» et revient dormir dans la chambre maritale, allume des cierges, y dépose quelques lys et va jusqu’à se façonner un ex-voto avec le visage de son épouse qu’il a découpé dans une photo à laquelle Félicité tenait tant. Il ose tenir tête à sa mère en l’accusant d’avoir «tué» son épouse. Bref, il devient ce qu’il aurait dû être auprès de son épouse, c’est-à-dire un amoureux attentif, délicat et animé de sentiments purs. Arrive ce qui devait advenir : la mère s’efface devant l’omniprésence de Mathilde qui habite littéralement l’enfant chéri et qui l’accapare jusqu’à l’idolâtrer. La mort de Mathilde a donc su annihiler le pouvoir démiurgique de la mère castratrice et donner des ailes à un Fernand transfiguré.

    Dans un autre ordre d’idées, la mort de Mathilde annonce celle de la mère et celle-ci, une fois trépassée, libérera les forces ascensionnelles dont le fils avait grandement besoin pour reprendre en main l’intendance de la grande propriété de Langon. À l’instar de Mathilde, Félicité morte reste densément vivante dans le cœur et l’esprit de son fils. Il sent sa présence encore « imposante » au-delà de la mort et, dans la salle à manger, il entrevoit son ectoplasme dans la place vide qui lui fait face pendant ses repas. Il finira par ressembler à cette mère qu’il abhorrait de son vivant. L’occasion lui en sera fournie lorsque Marie de Lados hébergera céans son petit-fils Raymond sous le fallacieux prétexte que l’enfant avait besoin de soins. Avec magnanimité Fernand accepta ce compromis, mais quand la mère du petit en vint à s’installer elle aussi chez lui, Fernand trouva que la situation avait assez duré. C’est à ce moment précis de l’histoire que l’autorité de la défunte mère s’exprima à travers ce fameux « Bey-t’en » (Allez-vous en) qui sortit de la bouche courroucée de Fernand. Il n’avait pas tendu inutilement « vers la genitrix toute-puissante ses mains de suppliant ». Bien sûr, Marie reviendra vivre seule à la maison quelques jours plus tard; mais nous sentons que désormais les jours s’écouleront selon le modus operandi conçu par Félicité. Le fils, la mère et l’épouse se sont donc enfin compris grâce au pouvoir régénérateur de la mort

    Jacques Nadeau,
    professeur de littérature retraité
    Collège Édouard-Montpetit, Longueuil.

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  3. C’est très intéressant et je suis heureuse d’avoir pu lire un tel commentaire avant de passer le bac oral de français. L’histoire qui était un peu floue dans ma tête est maintenant beaucoup plus claire.

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  4. Merci beaucoup pour cette information. Je suis australien et c’est trés utile. J’adore Francois Mauriac et souhaitez que plus de personnes le lisent. En 1937, il a dit que Genitrix était son livre préféré.

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