Danseur, Colum McCann

Lorsque j’ai parlé de Let the great world spin de Colum McCann, Laetitia m’a suggéré de lire Danseur, un autre roman de cet auteur que je commence à apprécier. Ne pouvant résister à une recommandation aussi chaleureuse, j’ai donc entrepris la lecture de Danseur sans trop savoir à quoi m’attendre.

Danseur Colum McCann

Danseur est une oeuvre de fiction centrée sur une personne ayant existé. Le sujet principal du roman est en effet Rudolf Noureev, le célèbre danseur étoile. Contrairement à une biographie où le récit s’appuie sur des témoignages et des faits avérés, le roman de Colum McCann s’inspire certes des épisodes marquants de la vie de Rudolf Noureev mais les relate sans contrainte de véracité. Le parti pris du récit de Colum McCann est d’éluder les grands moments de la vie du danseur russe pour se concentrer sur les petits instants de sa vie. Ou plutôt de ses vies tant Noureev semble avoir vécu des existences différentes. Cette biographie romancée traverse les époques : de la vie en URSS sous Staline avec une vie quotidienne faite de privations, d’oppression et de délation jusqu’au New-York gay des années 80 riche en drogue et sexe alors que l’épidémie de SIDA fait son apparition. Au rythme des relations familiales et amicales de Rudolf Noureev, Colum McCann écrit un destin qui va vite. Il traduit l’envie de vivre d’un Noureev qui ne tient pas en place.

Danseur m’a permis de découvrir un personnage hors du commun. La variété des points de vue choisis par l’auteur (amis, professeurs, famille, gouvernante…) montre une personne talentueuse qui travaille sans relâche. Outre son génie, Noureev est à la fois un être égoïste, généreux, fou, solitaire qui aime être le centre de l’attention tout en étant profondément sexuel. Il vit en déséquilibre permanent. Finalement peu importe si tout est exact ou pas d’un point de vue biographique, j’ai été porté par l’énergie du récit de Colum McCann.

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L’homme blanc, Perrine Leblanc

La recrue du mois de janvier est Perrine Leblanc avec son premier roman : l’homme blanc.

Né et élevé dans un goulag, Kolia rejoint Moscou alors que la société soviétique se libère de l’emprise du stalinisme. Découvrant une liberté jusqu’alors inconnue, il se mêle au monde du cirque et devient mime au sein d’un trio entre Bounine, un Auguste très connu, et son acolyte Pavel, le clown blanc. En dépit d’un succès éclatant sur scène dans une Russie post communiste, Kolia ne cesse de penser à celui qui l’a éclairé dans sa jeunesse.

Quel plaisir j’ai eu à lire ce roman ! Je l’ai dévoré d’un bout à l’autre tout captivé que j’étais par le récit mené avec brio par Perrine Leblanc. J’avais quelques interrogations avant d’entamer ma lecture : la période soviétique de la Russie n’est pas une des plus joyeuses qui soit et je voyais mal dans ces conditions comment cette histoire de clown allait pouvoir me séduire. Mais il y a quelque chose qui parle à tout le monde, peu importe les époques : un homme à qui rien n’a réussi dès la naissance finit par trouver un certain succès pour retomber dans la déchéance. Mais jamais il ne perdra son humanité en route. Et quelle ironie que cet orphelin à la vie triste devienne un mime très drôle qui va rejoindre le meilleur duo de clowns de l’URSS pour faire rire les gens.

Dans un style sobre, froid parfois, Perrine Leblanc expose le destin de Kolia, déroulant les épisodes et les rencontres marquants de sa vie. Comme lecteur je me suis retrouvé aux côtés de l’attachant Kolia dans la froideur du goulag, dans la tristesse de sa vie de misère à Moscou, dans la chaleur du cirque et dans la recherche de celui qui lui a permis de s’en sortir. Du stalinisme des années 30 à la Russie post communiste des années 90, c’est l’histoire d’une vie qui nous est contée sur fond de l’histoire d’un pays. Et le terme conte est tout à fait approprié pour décrire ce roman. En effet, Perrine Leblanc offre un récit parfaitement maîtrisé et sait assurément comment raconter une histoire. Tout paraît facile et naturel. L’art du récit n’est pas mort, c’est réjouissant !

Publié au Quartanier.

Le pavillon des cancéreux, Alexandre Soljenitsyne

C’est à croire que je me spécialise de plus en plus vers le roman médical (voir les murs et vol au-dessus d’un nid de coucou). Mais je quitte maintenant le monde de la maladie mentale avec le pavillon des cancéreux écrit par l’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne. De cet auteur j’avais déjà lu l’excellent Une journée d’Ivan Denissovitch il y a quelques années.

L’action se passe dans le service de cancérologie d’un hôpital situé dans une région de l’URSS qui est aujourd’hui l’Ouzbékistan. Plusieurs hommes viennent y faire soigner leur cancer par radiothérapie et hormonothérapie. Ces patients ont des origines différentes : ouvrier, paysan, étudiant, cadre du Parti Communiste, relégué ayant subi les foudres du pouvoir, scientifique contraint de travailler comme documentariste. On pensera en particulier à Roussanov, le cadre du parti, qui arrive hautain s’étonnant du peu d’égards qu’il reçoit en comparaison des autres malades mais aussi à Kostoglotov, le fort en gueule qui vient de passer plusieurs années au goulag et qui s’interroge sur les motivations des médecins. Mais ils ont tous en commun de devoir se battre pour leur vie. Le cancer a un effet égalisateur : peu importe leur passé, ces hommes éprouvent de grandes souffrances et se battent pour survivre. La maladie dé personnifie le malade jusqu’à un certain point, il n’est plus qu’un corps entre les mains des médecins. Et dans le pavillon des cancéreux, il y a aussi personnel qui travaille dans le service de cancérologie et qui, entre un système bureaucratique et des vies personnelles souvent sombres, est dévoué à trouver une façon de vaincre le cancer.

Le pavillon des cancéreux est un grand roman. J’avoue avoir un gros faible pour les romans réalistes mais ce livre réunit les principales caractéristiques du roman classique selon moi. Tout d’abord sur la forme il est accessible pour n’importe quel lecteur et la narration est exemplaire. Tout ce qui ne tient pas dans le texte écrit au présent fait l’objet de flashbacks. Il y a quelque chose de cinématographique dans ce procédé qui retient l’attention du lecteur dans le présent tout en peignant l’histoire personnelle d’un personnage.

Ensuite sur le fond, c’est là surtout que le pavillon des cancéreux est brillant. Soljenitsyne se livre à une critique de la société stalinienne. Le roman se déroule deux ans après la mort de Staline. Le régime soviétique montre de timides signes d’ouverture par rapport à la période stalinienne. La société se réorganise petit à petit. L’écrivain est ici engagé et dresse le portrait de l’époque stalinienne sous toutes ses facettes. Les passionnés d’histoire comme moi y trouveront leur compte. Même si Soljenitsyne est un écrivain qui a dénoncé le stalinisme, il n’y a pas vraiment de morale à ce roman. C’est une description objective des comportements humains pendant une période sombre de l’histoire humaine. Le peuple subit et tente de survivre. Le roman se termine sur un espoir très timide. Un des malades va mieux et revit alors que le printemps fait renaître la nature. Dans ces dernières pages, il y a une sensibilité vraiment profonde sur l’humanité qui vient clore un grand roman à la portée universelle. Le pavillon des cancéreux est intemporel. Il est beau et simple.