Le Survenant, Germaine Guèvremont

Voici un des classiques de la littérature québécoise, le Survenant écrit par Germaine Guèvremont. Ce livre est un représentant du courant des romans de la terre (ou du terroir) qui décrivent des scènes de la vie rurale et la tradition québécoise d’antan.

survenant

Dans la campagne québécoise, un homme frappe à la porte de la ferme des Beauchemin en quête d’un repas et d’un endroit où dormir. Le Survenant, ce sera le surnom de cet étranger, reste et s’installe chez les Beauchemin. En échange du gîte, il contribue aux travaux de la ferme, suscitant l’admiration de Didace, le patriarche de la famille Beauchemin, et provoquant la jalousie d’Amable-Didace, le fils, et de sa femme Alphonsine. Le Survenant surprend tout le monde par son ardeur au travail et par les récits de ses voyages passés. Il exerce un attrait certain auprès des membres de la petite communauté de Chenal du Moine, là où les gens naissent, vivent et meurent sans jamais aller plus loin que Sorel, la ville à proximité. Angelina, une vieille fille boiteuse, tombe amoureuse du Survenant et obtient des preuves d’affection de la part de ce bel homme. Le Survenant passe l’hiver dans le village et lui l’étranger envisage de se sédentariser pour de bon. Sera t-il accepté dans cette communauté tissée serrée ?

Le roman commence directement sur la rupture qui justifie l’histoire : un grand voyageur, un homme des chemins arrive dans une petite communauté bien huilée où chacun a sa place. Arrivant de l’extérieur, il bouleverse ce petit monde avec son savoir-faire, son énergie hors du commun et ses talents de conteur. Germaine Guèvremont dresse ainsi le portrait fantasmatique de cet homme libre et mystérieux qui possède tous les talents. Il n’est certes pas parfait car il est porté sur la boisson. Elle oppose le Survenant aux habitants de Chenal du Moine qui vivent sur leur terre dans la tradition rurale de l’époque. Certains se montrent mesquins à son endroit alors que d’autres tombent sous son charme.

Le Survenant est un roman réussi, très agréable à lire. Au-delà de la confrontation entre tradition et ouverture sur le monde, le livre a une valeur de témoignage historique à propos de la vie dans les rangs du Québec, des travaux de la ferme, du rythme imposé par les saisons et des veillées où les gens se rencontrent. J’ai aussi beaucoup aimé l’usage que Germaine Guèvremont fait de la langue. C’est avec un livre comme le Survenant qu’on se rend compte de la richesse de la langue française. J’ai rencontré des mots que je ne connaissais pas, sans doute de l’ancien patois local.

Enfin, je trouve que le propos du roman demeure très actuel. Bien que Germaine Guèvremont n’ait évidemment jamais eu cette intention étant donné la date de parution du roman (1946), on peut lire le Survenant sous l’angle de l’accueil qui est fait aux immigrants au Québec. Je vois parfois ressurgir cet esprit de clocher, mélange de méfiance et de mépris envers celui qui survient sans qu’on ne le souhaite. Mais heureusement pour chaque Amable-Didace ou Alphonsine, il y a un Didace ou une Angelina.

5 étoiles

Publicité

Kamouraska, Anne Hébert

Ça faisait un moment que je m’étais promis de me mettre à la littérature québécoise car force est d’avouer que je n’ai pas lu grand-chose de québécois depuis que je suis au Québec (à part peut-être Rafaèle Germain, mais est-ce de la littérature ?). Je suis donc passé à la bibliothèque pour emprunter Kamouraska de Anne Hébert. Publié en 1971, il est considéré comme un incontournable de la littérature québécoise.

Elizabeth est aux côtés de Jérôme Rolland, son second mari, qui est en train de s’éteindre paisiblement dans sa demeure de Québec. Épuisée de veiller le mourant, finit par s’endormir et revit en songe son premier mariage avec le séduisant Antoine de Tassy, seigneur de Kamouraska. Un mariage qui ne sera pas placé sous les meilleurs auspices. Les premiers mois se passent bien pour le couple mais très vite Antoine s’avère être un ivrogne coureur de jupons. Après quelques mois passés sur les terres de Kamouraska, Elizabeth revient dépitée dans sa famille à Sorel. Elle se désespère jusqu’à sa rencontre avec le docteur Georges Nelson, un Américain dont la famille loyaliste s’est réfugiée au Canada. Elle tombe sous le charme de ce bel homme et vit avec lui une belle histoire d’amour. Mais voilà, Antoine de Tassy est toujours présent et cause beaucoup de chagrin au nouveau couple. C’est alors que les deux amants décident que le mari doit mourir. Après une première tentative d’empoisonnement infructueuse par la servante d’Elizabeth, c’est le Dr Nelson qui va entreprendre en plein hiver le chemin de Sorel à Kamouraska pour perpétrer le forfait qui les libérera.

Kamouraska

J’ai bien aimé Kamouraska. Mais sans vraiment accrocher plus que ça au départ. Le style de narration est peu convivial à mon goût. On suit le cheminement les pensées d’Élizabeth d’Aulnières (qui deviendra Élizabeth de Tassy puis Elizabeth Rolland). On est vraiment dans sa tête alors qu’elle est hantée par les images de son passé douloureux. C’est difficile de suivre le passage d’une idée à l’autre, car le passé et le présent sont étroitement mêlés et Elizabeth passe rapidement d’un sujet à l’autre. Anne Hébert joue avec la chronologie, ne livre que quelques bribes avant de révéler le reste plus tard. Mais petit à petit, on se fait à ce rythme et on découvre l’image d’ensemble : les premiers émois d’Elizabeth pour le jeune seigneur de Kamouraska, son mariage, ses désillusions et sa redécouverte de l’amour avec Georges Nelson, jusqu’à l’issue fatale et ses conséquences sur les deux amants. Je trouve que c’est une belle prouesse de la part d’Anne Hébert de nous faire entrer ainsi dans les pensées d’une personne. On se sent très proche de la narratrice, on retient son souffle avec elle dans les moments difficiles. Kamouraska est un roman tragique, l’issue n’est pas belle, ce n’est pas un conte de fée. Le récit contient beaucoup de mélancolie, de tristesse, de regrets.

Kamouraska nous emmène en voyage dans le Québec du XIX siècle. Il est tout à fait possible de suivre le périple du docteur Nelson avec une carte du Québec. On traverse avec lui les villages entre Sorel et Kamouraska. J’ai regardé sur internet combien de temps prend le trajet aujourd’hui. En 4 heures à peine, on couvre la distance qu’a parcouru le fictif Georges Nelson en plusieurs jours. Il faut dire qu’il a entrepris son terrible voyage en plein hiver, à cheval sur fin janvier et début février, alors que les tempêtes de neige se succèdent et effacent les traces des routes. Et lui ne disposait pas d’une voiture. Dans les années 1830 le moyen de transport le plus efficace était un traîneau tiré par un cheval.
Par ailleurs, il était courant que les femmes aient au moins 10 enfants et Elizabeth n’y déroge pas. On voit en toile de fond l’importance de la religion catholique chez les francophones et le pouvoir des anglophones : à l’époque les actes officiels sont rédigés en anglais et toute l’administration fonctionne en anglais. Kamouraska vaut aussi le détour pour la petite balade historique.

3etoiles.gif