Bilan de lecture 2008 et projets 2009

Que retenir de cette année de lecture ? Je ne vais pas me lancer dans un top 10 ou un top 5 mais livrer ce qui me reste des livres lus au cours des mois passés.

Tout d’abord, je me suis sérieusement intéressé à la littérature québécoise. Mon expérience est globalement positive. Deux auteurs québécois sortent du lot. Il s’agit d’abord de Marie-Claire Blais dont j’ai lu Soifs et une saison dans la vie d’Emmanuel. Elle repousse les limites de l’écriture avec un style bien à elle. Une découverte à approfondir. Je retiens aussi un auteur québécois de langue anglaise : Mordecai Richler. J’ai beaucoup aimé lire le monde de Barney et la saga des Gursky. C’est selon moi un auteur qui mériterait un peu plus d’attention.

Parmi les excellentes lectures de 2008, je conseille Don DeLillo (voir Underworld). Ce n’est pas un auteur hyper connu mais c’est très agréable de se laisser emporter par les mots qu’il couche sur le papier. Là aussi, je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin.

Je retiens aussi de cette année 2008 les conversations très intéressantes que j’ai peu avoir par l’intermédiaire de ce blog. Je l’avoue humblement, certains commentaires m’ont vraiment éclairé sur certaines lectures. Je pense en particulier aux discussions à propos de Glamorama (Bret Easton Ellis) et du Bruit et la Fureur (William Faulkner). Ces deux auteurs ont une approche particulière de l’écriture et j’apprécie que les visiteurs de ce blogue aient pris le temps de me donner quelques clés de lecture pour comprendre leurs univers.

2008 n’aura pas été une année très riche en lectures françaises. Manifestement, je me nord-américanise dans mes lectures. Mais j’ai quelques classiques de la littérature française sous le coude et ça promet de belles lectures.

Quoi de prévu pour 2009 ? Une certitude, je vais continuer à lire. Mais toujours des choses très différentes. La variété, ça compte.
Je souhaite aussi partager une très bonne nouvelle : je fais maintenant partie de l’équipe de la Recrue du mois. C’est un blogue qui met tous les mois en avant le premier roman d’un auteur québécois. Je vais donc découvrir de nouveaux écrivains et partager mes impressions sur leur travail. Mais surtout, j’espère que ça donnera une certaine visibilité à la lecture québécoise. Rendez-vous le 15 de chaque mois pour un nouveau roman québécois.

Enfin, vous avez sans doute remarqué la nouvelle apparence du blog. Il faut bien renouveler le décor de temps en temps.

Marie-Claire Blais (midis littéraires de la Grande Bibliothèque)

Je reviens de l’auditorium de la Grande Bibliothèque à Montréal où j’ai entendu Marie-Claire Blais parler de son travail d’écrivain et de sa vie. En passant, un grand merci à Venise d’avoir relayé l’info de Carole car je n’étais pas au courant il y a encore quelques jours.

Marie-Claire Blais est une écrivain québécoise que je connais peu puisque je n’ai lu qu’un seul de ses livres (Soifs). Mais celui-ci m’a suffisamment marqué pour que je m’intéresse à elle et à ce qu’elle avait à dire. Je vous avais d’ailleurs déjà renvoyé à une de ses rares entrevues.

J’ai passé un excellent moment à la Grande Bibliothèque. L’entretien d’une durée de 1h30 a été mené avec intelligence et passion par Aline Apostolska. Et ça ne doit pas être facile d’interroger ainsi Marie-Claire Blais qui s’est décrite comme ayant longtemps souffert d’une timidité maladive. Elle a d’ailleurs paru un peu gênée lors des premières minutes de l’entretien mais ça n’a pas duré.

Marie-Claire Blais a parlé de son enfance à Québec dans un quartier modeste qui l’a sensibilisée très tôt aux injustices sociales. Elle a souligné qu’à l’époque, la mainmise de l’Église sur l’éducation « ne permettait pas de réaliser les promesses artistiques. L’école était un milieu borné où on n’encourageait pas du tout les élèves à lire des livres. C’était une époque d’étouffement moral ». Malgré cet environnement peu propice au développement artistique, Marie-Claire Blais a affirmé savoir qu’elle allait devenir écrivain dès l’âge de 11 ans. Alors que les études étaient trop coûteuse pour ses parents et à une époque où les filles devaient travailler pour subvenir aux besoins de la famille, elle n’a eu d’autre choix que d’arrêter l’école vers 15-16 ans pour aller travailler dans le milieu médiocre (ce sont ses mots) du secrétariat. C’est en poursuivant des études en littérature le soir à l’Université Laval qu’elle a pu rencontrer des personnes qui l’ont encouragée dans la voie littéraire.

Marie-Claire Blais a également abordé son parcours semé d’embûches. Son premier livre, la belle bête, a été publié alors qu’elle n’avait que 20 ans. Ce livre a été rejeté par la critique à sa sortie au Québec. Ses détracteurs se sont rapidement calmés quand son livre a été lancé en France et a été traduit en anglais pour le Canada anglophone. Une autre de ses œuvres majeures, une saison dans la vie d’Emmanuel, a été refusé par 4 éditeurs en raison de son côté anti-religieux avant d’être retenu par un autre éditeur exactement pour les mêmes raisons ! Heureusement Marie-Claire Blais a su faire reconnaître son travail et son talent. La liste des prix qu’elle a reçus pour son œuvre est interminable !

Quand Aline Apostolska lui a demandé pourquoi elle s’est souvent exilée, que ce soit à Paris, à Cape Cod, en Bretagne ou a Key West où elle réside aujourd’hui, Marie-Claire Blais a répondu que le fait d’aller ailleurs lui permet de « prendre une certaine distance, de retrouver une paix intérieure, de ne pas être confinée dans les anciennes raideurs. C’est une façon de se renouveler pour mieux écrire ».

Il a aussi été question de la grande fresque qu’elle a entrepris avec Soifs. Originellement conçu comme une trilogie, cet ensemble compte déjà 4 tomes et un cinquième est en préparation. Marie-Claire Blais raconte dans un style particulier la vie de plus de 150 personnages dans notre époque qu’elle qualifie « d’ère des tourments » et qu’elle compare aux années 65-75 car « nous sommes devant de grands espoirs, de puissances de destruction mais aussi de création. Il y a aujourd’hui un désir d’égalité semblable à celui qui animait les États-Unis avec les mouvements pour l’égalité des Noirs et des femmes ». Interrogée sur ses relations avec les personnages de ses livres, et en particulier avec ceux de la fresque Soifs, elle a admis être possédée par eux et que l’écriture est une façon de se déposséder de ses personnages : « quand je travaille, je ne pense qu’à mes personnages, nuit et jour ». Ce sont là les mots d’une femme passionnée par la littérature. Pour elle, « la littérature ne doit pas être confondue avec le divertissement. On n’écrit pas pour amuser ou pour divertir. L’écrivain est un témoin de son temps qui maîtrise un art complexe ».

Je retiens de cette conversation avec Marie-Claire Blais sa volonté de « déchirer le voile qui nous tient enfermé ». Cette notion d’enfermement et d’étouffement est revenu régulièrement dans son propos. On sent chez elle le désir d’être témoin de son époque, de décrire la réalité de notre monde, que ce soit beau ou non. En tout cas ouvrir les yeux de ses lecteurs.

L’intégralité de cet entretien est déjà disponible dans la section baladodiffusion de la Grande Bibliothèque : fichier mp3.

Marie-Claire Blais : entrevue à Radio-Canada

Je vous avais parlé de Marie-Claire Blais à l’occasion de ma lecture de Soifs.

Habituellement rare dans les medias, elle a dernièrement accordé une entrevue à Michel Desautels sur Radio Canada à l’occasion de la sortie de son dernier livre : Naissance de Rebecca à l’ère des tourments.

Elle y parle  de ses personnages, dont certains déjà présents dans Soifs. Elle révèle quelques informations sur sa démarche de romancière et elle répond aux questions sur son style particulier, notamment l’absence de ponctuation qui caractérise ses œuvres.

Soifs, Marie-Claire Blais

Continuons notre découverte de la littérature québécoise avec une pointure : Marie-Claire Blais. J’ai choisi Soifs, un roman qu’elle a écrit à la fin des années 90. Ce n’est pas un ouvrage facile à aborder. Les personnages qui se croisent, leurs histoires entrelacées et la forme particulière de la narration sont autant de difficultés pour le lecteur non averti.

Soifs, Marie-Claire Blais

Le récit se passe sur une île au climat chaud, dans les Caraïbes. Voici quelques-uns des personnages qu’on va retrouver dans Soifs.
Renata, avocate et femme d’un juge, y est en convalescence. C’est une femme progressiste dans sa conception de la justice, ses opinions sont régulièrement en contradiction avec les jugements sévères que rend son mari.
Le pasteur Jérémy et sa famille vivent dans un quartier pauvre de la ville, ses enfants sont des délinquants alors que lui-même est très occupé par son ministère.
Mélanie est la nièce de Renata. Elle a trois enfants pour qui elle a mis entre parenthèses sa carrière politique, au grand dam de sa mère. Celle-ci est lapidaire sur les choix de vie de sa fille et sur ses goûts en matière de décoration intérieure. Cette mère ne peut s’empêcher de mettre en perspective sa vie et celle de sa famille juive d’Europe de l’Est qui a péri à Treblinka pendant la seconde guerre mondiale. Adrien est le mari de Mélanie. C’est un écrivain qui a déjà publié un livre qui a connu du succès et il travaille à la rédaction de son prochain ouvrage.
Jacques est un universitaire spécialiste de la vie et de l’œuvre de Kafka. C’est aussi un mélomane averti et un homosexuel qui s’éteint suite à une maladie dont on ne nous dit rien mais qu’on devine être le SIDA.
En fait c’est ça, en tant que lecteur on est soumis à un déluge de mots, de descriptions, de pensées, de dialogues, on découvre les multiples facettes des personnages mais sans finalement en savoir vraiment beaucoup sur eux. On devine, on entrevoit. Mais on ne sait pas.

Soifs se déroule sous un climat tropical mais on est loin de l’ambiance des vacances. Le temps est lourd et humide. La maladie, la violence et la peur sont des thèmes qui reviennent régulièrement. À travers les dialogues et les pensées des personnages, Marie-Claire Blais aborde plusieurs sujets d’actualité et suscite des réflexions profondes sur le monde qui nous entoure, ses moments de beauté et ses injustices. Mais là aussi il faut lire entre les lignes. Rien ne nous sera livré tout cuit dans le bec.

Sur le plan de la forme, Soifs est déroutant. Marie-Claire Blais joue avec les codes de la narration. Le texte se présente comme un paragraphe unique d’un bout à l’autre du livre. Il n’y a aucun retour chariot. Les phrases sont le plus souvent séparées par des virgules, il y a très peu de points. On va et vient d’un personnage à l’autre sans avertissement, ce qui peut être assez déstabilisant. Après quelques hésitations, je m’y suis fait et je me suis laisser emporter, à la dérive comme sur un bateau, au gré des vagues.

Soifs est une sorte de tourbillon, une mosaïque qui flirte souvent avec la poésie. Ce livre m’a rapidement fait penser à des films du genre de Magnolia, Babel ou Crash (je pense que ce sont les plus connus du genre) où on suit plusieurs personnages qui finiront par se croiser.

Soifs aura été pour moi une expérience de lecture intéressante.  Je n’ai pas tout compris mais ça ne m’a pas empêché d’apprécier cet ouvrage. Petit à petit, je m’ouvre à une forme de littérature que je ne connaissais pas. J’ai retrouvé un peu de ce que j’avais ressenti en lisant le bruit et la fureur de Faulkner et dans une moindre mesure Kamouraska d’Anne Hébert.

Je suis à la recherche de recommandations d’autres titres de Marie-Claire Blais. Toute suggestion est la bienvenue.

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