Testament, Vickie Gendreau

la Recrue du mois

Testament est la recrue du mois de février. C’est le premier roman de Vickie Gendreau.

Testament Vickie Gendreau

Vickie est une jeune femme de 23 ans. Elle a appris récemment qu’elle avait une tumeur au cerveau. De plus, Stanislas, l’homme de sa vie, l’a quittée pour une autre. Vickie entreprend alors le récit de sa vie et laisse à ses amis plusieurs textes qui leur sont livrés après son décès. Ces textes font office de testament et sont entremêlés avec les réactions et les commentaires des personnes qui les reçoivent. Elle écrit à Stanislas, à Raphaëlle, son amie du secondaire, Catherine une autre amie et Mikka son confident. Elle laisse aussi des textes à sa mère Martine et à son petit frère Antoine. Elle écrit même à un de ses amis qui s’est suicidé peu de temps auparavant.

« Allons bon encore une logorrhée de jeune femme en colère qui joue la carte de la provocation en parlant de mort et de sexe. » C’est ce que je me suis dit après quelques dizaines de pages. Il faut dire que Vickie, la narratrice principale de ce roman, ne ménage pas le lecteur avec l’histoire de la trahison de son ex et le récit de sa vie de danseuse et d’escorte (l’euphémisme québécois pour dire prostituée). J’ai aussi trouvé que le roman partait dans tous les sens avec plusieurs narrateurs et un récit non linéaire. Mais je me suis rendu compte que le propos est finalement plus subtil que ça. Certes les textes sont bruts et la part de colère est très importante : après tout, Vickie vient de se faire diagnostiquer une tumeur au cerveau, son chum l’a quittée pour une autre et elle a subi un viol. Mais Vickie se connaît bien et ne se fait pas d’illusions. Elle est très lucide sur sa vie. A 23 ans, ses rêves d’amour se heurtent à son mode de vie de danseuse, à l’absence de l’homme qu’elle aime et surtout à sa maladie. Rage, culpabilité, souvenirs, résignation, la palette des émotions et des sensations est très bien rendue par l’écriture poétique de Vickie Gendreau. Le roman compte d’ailleurs plusieurs poèmes qui rendent compte de l’état d’esprit de la narratrice.

Testament s’avère plus organisé qu’il n’y paraît à première vue. Vickie fait envoyer des textes à plusieurs personnes après sa mort. Voilà pour la partie testament. Mais ces textes qu’elle leur livre sont entrecoupés des réactions de ces personnes face à ce qu’elle leur laisse. C’est presque un dialogue qui se déroule sous les yeux du lecteur.

Testament est un roman dont l’accès n’est pas facile tant au niveau de la forme que du fond. C’est un livre qui va au-delà de la colère et qui pose des questions essentielles sur ce que nous laissons aux gens autour de nous.

J’écarte le débat sur le côté largement autofictionnel de Testament. Vickie Gendreau l’auteure se mélange avec Vickie Gendreau le personnage du roman. Quel écrivain ne puise pas dans sa vie personnelle pour ses romans ? Si vous lisez Testament parce que l’auteure est atteinte d’un cancer, vous le lisez pour de mauvaises raisons. Lisez-le parce que c’est un livre qui va vous faire réagir.

Une question demeure toutefois : mais c’est quoi tous ces fennecs ?

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Traine pas trop sous la pluie, Richard Bohringer

Après Bernard Giraudeau et Cher amour, je m’intéresse aux écrits d’un autre acteur français : Richard Bohringer qui propose avec Traine pas trop sous la pluie un récit autofictionnel.

Hospitalisé, le narrateur vit un délire fiévreux qui l’amène à tenir des propos décousus et à halluciner. Se mêlent à ces hallucinations le personnel soignant, ses visiteurs et un mystérieux personnage nommé Grand Singe. Le narrateur aime cette fièvre qui le fait délirer et le renvoie à plusieurs voyages de son passé en Afrique et en Amérique du Sud. Il se remémore les rencontres faites lors de ces voyages avec des gens attachants mais aussi ses rencontres en France avec quelques grands noms du monde du spectacle : à commencer par Bernard Giraudeau mais aussi Roland Blanche, Mano Solo ou encore Jean Carmet et Jacques Villeret. Son hospitalisation est aussi l’occasion pour le personnage principal de revenir sur certains épisodes de son enfance et sur ses relations avec ses parents.

Porté par un texte riche en sincérité et en humanisme mais aussi marqué par la grande gueule du narrateur, Traîne pas trop sous la pluie correspond à l’image que je le faisais de Richard Bohringer le personnage public. Homme d’excès, abîmé par la vie, il possède une âme juste et un grand cœur. Ce court roman m’a toutefois demande un certain effort : j’ai dû accepter le style décousu de l’auteur pour mieux m’imprégner de la poésie du texte. C’est un renoncement nécessaire pour apprécier cette lecture mais qui pourrait refroidir les adeptes de textes plus linéaires.

L’amour avant que j’oublie, Lyonel Trouillot

Je me souviens d’une discussion en décembre 2009 avec Catherine et Claudio où tous deux m’avaient présenté Lyonel Trouillot comme étant un de leurs auteurs préférés. Deux passionnés de littérature qui vantent un auteur, ça mérite qu’on s’y intéresse. J’ai finalement choisi de lire l’amour avant que j’oublie, un peu par hasard je l’avoue.

Lors d’une conférence, le narrateur aperçoit une femme qui lui plait beaucoup. Plutôt que de l’aborder directement, ce grand timide décide de lui écrire un livre en quelques heures. Il choisit de lui raconter une partie de son histoire. Ce narrateur, surnommé l’écrivain, parle des trois compagnons avec lesquels il a cohabité au sein d’une petite pension pendant sa jeunesse. Alors jeune professeur engagé dans un syndicat, il fréquente dans cette pension des hommes qui sont pour lui des figures emblématiques. Il y a d’abord l’Etranger, un homme qui fait à ses compères le récit de ses voyages lointains et des nombreuses femmes qu’il a rencontré. Il y a l’Historien, un type un peu bourru qui a quitté sa famille et sa carrière d’universitaire pour s’isoler. Et il y a Raoul, un homme mystérieux grand visiteur de cimetières. Au milieu de ces illustres personnages, le jeune écrivain se construit et se frotte à la vie.

Il est difficile de définir ce texte tant il est riche et protéiforme. Tantôt conte, tantôt récit d’apprentissage, ce roman est à lire avec une bonne dose d’ouverture. Lyonel Trouillot mêle passé et présent, certains dialogues sont insérés dans le texte sans être présentés comme des dialogues. Il faut donc pouvoir accepter de se laisser mener par l’auteur et suivre librement le fil de ses pensées. D’autant que rien n’est tel que les apparences peuvent le laisser supposer au lecteur. Et quelle originalité de la part de l’auteur de nous parler de l’amitié entre ces hommes pour souligner l’importance de l’amour qu’il éprouve pour une femme !

J’ai lu à propos de Lyonel Trouillot que son écriture poétique était caractéristique. Je l’ai constaté moi-même à la lecture de l’amour avant que j’oublie. Lyonel Trouillot possède une grande sensibilité, une remarquable attention aux autres. Je devine que le narrateur qui s’exprime à la première personne possède de fortes similitudes avec l’auteur lui-même. Ce narrateur est extrêmement touchant en raison de ses hésitations, de sa gêne à s’imposer et de son profond respect pour ces hommes qui l’entourent.

Un dernier mot à propos d’Haïti qui constitue la toile de fond de ce roman : j’ai aimé retrouver la richesse de ce pays et de sa population que j’avais entrevu dans les livres de Dany Laferrière.

Je recommande fortement la lecture de ce roman qui se savoure. Et la prochaine fois qu’on me fait une recommandation de lecture passionnée, je n’attendrai pas 2 ans avant de m’y mettre.

Cher amour, Bernard Giraudeau

Je connaissais Bernard Giraudeau l’acteur. Mais pas Bernard Giraudeau le voyageur et l’écrivain. C’est un homme qui avait plusieurs casquettes. Cher amour est le dernier roman qu’il a publié avant son décès.

Dans ce roman, il s’adresse à une femme imaginaire. Une femme qu’il idéalise : elle est celle qu’il n’a pas encore rencontré. Mi correspondance, mi journal de bord, ce roman expose les différents voyages faits par le narrateur récemment. Il raconte ses voyages à cette femme qu’il imagine parisienne sédentaire. Il part dans l’Amazonie profonde et il visite le Chili en compagnie d’anciens opposants à Pinochet. À l’occasion de tournages, il parcourt les Philippines de l’excès et le Cambodge qui se remet des Khmers rouges. Le voyage le plus émotif est peut-être celui qui le voit remettre les pieds sur le navire la Jeanne d’arc qu’il avait connu dans sa jeunesse comme marin. À son bord, il se dirige vers Djibouti, port et porte d’entrée vers l’Afrique de l’Est.

Ces voyages sont l’occasion pour le narrateur de quitter la frénésie occidentale et de poser un regard sur des sociétés et des personnes qu’on n’entend pas souvent, voire pas du tout. Il y a chez Bernard Giraudeau une capacité d’émerveillement salutaire. Ses textes sont parfois empreints d’une certaine poésie qui fait ressortir la beauté de la pauvreté, de l’insolite et du laid. Le tout sans voir le monde à travers les lunettes roses d’un touriste occidental admiratif de l’authenticité du Tiers Monde.

Bernard Giraudeau entremêle aussi ses récits d’anecdotes de théâtre et de tournages de films, ce sont des moments très intéressants pour qui s’intéresse au monde du spectacle vu de l’intérieur. Même après des dizaines d’années d’expérience sur la planches et devant les caméras, le trac se manifeste toujours au moment d’entrer en scène.

Lorsqu’il voyage, Bernard Giraudeau filme les rencontres qu’il fait, les visages de ses interlocuteurs. Il veut capturer ce qu’il voit. Malheureusement quand vient le temps de restituer sur papier ses expériences de voyage, il le fait dans un style qui passe souvent du coq à l’âne, au gré de ses pensées et des anecdotes historiques dont il émaille son récit. Les passages passionnants auraient gagné à ressortir un peu plus au lieu d’être perdus dans une ensemble d’impressions pas toujours intéressantes pour le lecteur. Tout cela fait que je ne suis entré dans le texte. J’ai lu ce livre distraitement alors que je ne lui trouve pas vraiment de défauts. Un rendez-vous manqué avec ce Cher amour.

Les nourritures terrestres, André Gide

La lecture, c’est formidable : plus vous lisez des livres, plus vous avez envie d’en lire d’autres. C’est en lisant Enthéos de Julie Gravel-Richard que j’ai eu l’envie de mettre le nez dans les nourritures terrestres d’André Gide.

Publié en 1897, les nourritures terrestres est un livre qui est demeuré très actuel. C’est le récit d’un homme qui veut partager sa vision du bonheur. Le narrateur narrateur s’adresse à un certain Nathanaël qu’on devine être son jeune amant. Il souhaite lui montrer la beauté de la vie et lui offre sa vision d’un bonheur naturel fait de dénuement et de voyages.

J’ai eu un peu peur au début du roman étant donné le ton très exalté du narrateur. Il m’a fallu plusieurs pages pour m’habituer à un texte plein de ferveur qui alterne entre narration classique, poésie et carnet de voyage. André Gide propose ainsi une définition du bonheur simple et vaste à la fois. Le narrateur incite Nathanaël (et le lecteur par la même occasion) à être contemplatif et actif en même temps. Contemplatif dans l’observation de la nature et des innombrables belles choses qu’elle recèle. Actif car il faut se lever avant l’aube (une obsession chez le narrateur) et voyager, ne surtout pas s’enraciner. Le livre est empreint de religiosité. Dieu, la nature, l’amour sont des thèmes récurrents mais ils sont englobés dans un certain hédonisme et non dans l’observance de règles rigides qu’elles soient religieuses ou sociales.

Les nourritures terrestres se savourent lentement : ce n’est pas forcément un livre facile à lire, il faut accepter de suivre ce narrateur tantôt électrisé tantôt lascif qui rend hommage à la vie. Il faut aussi accepter une forme littéraire hybride, sorte de poésie en prose, émaillée de références classiques. C’est un ouvrage très riche qui parlera au lecteur à la recherche d’une philosophie personnelle. Des dizaines de citations peuvent être tirées des nourritures terrestres mais l’auteur lui-même ne fait pas grand cas de son propos. En guise de conclusion, il conseille au lecteur de purement et simplement jeter son livre pour aller bâtir ses propres expériences. Faire fi des théories et aller frotter ses cinq sens au monde qui nous entoure.

L’édition que j’ai lue était suivie des nouvelles nourritures, un texte signé par le même André Gide. Cet ouvrage a été publié des dizaines d’années plus tard en 1935. Dans les nouvelles nourritures, le narrateur se pose moins de questions et son propos se fait plus philosophique. C’est un homme mûr qui parle. Contrairement aux nourritures de 1897, il fait intervenir des personnages dans son récit avec lesquels il dialogue. Il se paie même le luxe de converser avec Dieu. Et c’est un fait, la religion est plus présente dans ce texte et le christianisme plus affirmé. Mais toujours dans le même esprit : le bonheur est l’état naturel de l’Homme.