L’amour avant que j’oublie, Lyonel Trouillot

Je me souviens d’une discussion en décembre 2009 avec Catherine et Claudio où tous deux m’avaient présenté Lyonel Trouillot comme étant un de leurs auteurs préférés. Deux passionnés de littérature qui vantent un auteur, ça mérite qu’on s’y intéresse. J’ai finalement choisi de lire l’amour avant que j’oublie, un peu par hasard je l’avoue.

Lors d’une conférence, le narrateur aperçoit une femme qui lui plait beaucoup. Plutôt que de l’aborder directement, ce grand timide décide de lui écrire un livre en quelques heures. Il choisit de lui raconter une partie de son histoire. Ce narrateur, surnommé l’écrivain, parle des trois compagnons avec lesquels il a cohabité au sein d’une petite pension pendant sa jeunesse. Alors jeune professeur engagé dans un syndicat, il fréquente dans cette pension des hommes qui sont pour lui des figures emblématiques. Il y a d’abord l’Etranger, un homme qui fait à ses compères le récit de ses voyages lointains et des nombreuses femmes qu’il a rencontré. Il y a l’Historien, un type un peu bourru qui a quitté sa famille et sa carrière d’universitaire pour s’isoler. Et il y a Raoul, un homme mystérieux grand visiteur de cimetières. Au milieu de ces illustres personnages, le jeune écrivain se construit et se frotte à la vie.

Il est difficile de définir ce texte tant il est riche et protéiforme. Tantôt conte, tantôt récit d’apprentissage, ce roman est à lire avec une bonne dose d’ouverture. Lyonel Trouillot mêle passé et présent, certains dialogues sont insérés dans le texte sans être présentés comme des dialogues. Il faut donc pouvoir accepter de se laisser mener par l’auteur et suivre librement le fil de ses pensées. D’autant que rien n’est tel que les apparences peuvent le laisser supposer au lecteur. Et quelle originalité de la part de l’auteur de nous parler de l’amitié entre ces hommes pour souligner l’importance de l’amour qu’il éprouve pour une femme !

J’ai lu à propos de Lyonel Trouillot que son écriture poétique était caractéristique. Je l’ai constaté moi-même à la lecture de l’amour avant que j’oublie. Lyonel Trouillot possède une grande sensibilité, une remarquable attention aux autres. Je devine que le narrateur qui s’exprime à la première personne possède de fortes similitudes avec l’auteur lui-même. Ce narrateur est extrêmement touchant en raison de ses hésitations, de sa gêne à s’imposer et de son profond respect pour ces hommes qui l’entourent.

Un dernier mot à propos d’Haïti qui constitue la toile de fond de ce roman : j’ai aimé retrouver la richesse de ce pays et de sa population que j’avais entrevu dans les livres de Dany Laferrière.

Je recommande fortement la lecture de ce roman qui se savoure. Et la prochaine fois qu’on me fait une recommandation de lecture passionnée, je n’attendrai pas 2 ans avant de m’y mettre.

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Pays sans chapeau, Dany Laferrière

Je vous parle régulièrement de Dany Laferrière depuis quelques temps. Sa présence médiatique, que ce soit pour les nombreux prix qu’il obtient ou pour ses interventions à propos du tremblement de terre du mois de janvier à Haïti, joue bien sûr un rôle dans le fait que je m’intéresse à ses livres. Mais plus important, je le lis parce que je trouve que c’est un excellent écrivain avec un regard bien particulier.

Dans Pays sans chapeau, un narrateur surnommé Vieux Os relate son retour à Haïti après 20 ans d’exil forcé en raison de la dictature de Baby Doc. Assis sous un manguier à Port-au-Prince, il écrit sur ses retrouvailles avec sa mère Marie, sa tante Renée, ses anciennes amours mais aussi Philippe et Manu, ses amis proches restés au pays. C’est pour lui une redécouverte du pays de sa jeunesse. Il revit des sensations oubliées et réutilise des mots gardés en réserve depuis 20 ans. Pas besoin de s’intéresser à Haïti pour apprécier Pays sans chapeau (c’est le nom donné à l’au-delà par les Haïtiens car on enterre les morts sans leur chapeau). C’est un livre sur la nostalgie et le décalage qui se crée de par l’exil entre celui qui est parti et ceux qui sont restés. Se pose aussi la question de la légitimité de celui qui est parti.

Mais vous ferez aussi connaissance avec un pays fascinant. Dany Laferrière dresse un beau portrait d’Haïti, de ses habitants et de leurs croyances. Les chapitres du livre alternent entre le pays réel et le pays rêvé, celui du jour et du quotidien opposé à celui des superstitions et de la nuit. N’avez-vous pas entendu parler de l’armée de zombis d’Aristide ? de ces paysans de Bombardopolis qui se nourissent seulement tous les 3 mois ? de ces morts qu’on croise dans la rue ? Comprendre Haïti et ses habitants semble très difficile.

Les paragraphes sont courts et alternent entre anecdotes drôle et une certaine profondeur. Le narrateur possède un grand sens de l’humour et avec ce regard si particulier sur les choses qui l’entourent a toujours un point final qui fait sourire et/ou réfléchir le lecteur.

Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer et Je suis un écrivain japonais m’avaient frappé par le côté nonchalant du narrateur. Là, Vieux Os montre au contraire une certaine avidité, pressé qu’il est de renouer avec le pays de son enfance et de ses premières expériences de jeune adulte.

En lisant Pays sans chapeau, je me suis demandé s’il fallait considérer Dany Laferrière comme un écrivain haitien ou québécois. Comme je le connais d’abord comme une personnalité publique du Québec, j’ai pris le parti de classer ses romans dans la catégorie littérature québécoise de ce blogue. Mais plus je le lis, plus je me demande dans quelle mesure son écriture est haïtienne et/ou québécoise. Maître de l’autofiction, il écrit sur son expérience qui est à la fois haïtienne et québécoise, c’est donc difficile de dire dans quelle catégorie il tombe. Ce questionnement est certes assez artificiel il faut l’avouer car peu importe l’étiquette qu’on attribue à Dany Laferrière, c’est avant tout un écrivain que j’aime lire pour sa plume et sa sensibilité. Mais je suis curieux de lire les avis des lecteurs qui passent par ici.

Du même auteur :
Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer
Je suis un écrivain japonais
Tout bouge autour de moi