Dormir avec les fantômes, Caroline Legouix

La publication d’un roman peut passer par l’étape du recueil de nouvelles. C’est le cas pour Caroline Legouix qui avait publié fin 2012 un recueil intitulé Visite la nuit que j’avais lu (et apprécié). Elle publie maintenant un roman au titre tout aussi nocturne : Dormir avec les fantômes.

Océane, jeune française qui émigre au Québec, vient de poser ses valises dans un hôtel de Montréal. Elle fait connaissance avec une excentrique voisine de chambre nommée Lilou et tombe sous le charme de Victor, le réceptionniste de l’hôtel. Et elle fait rapidement la connaissance de Colette, une ancienne actrice. Sous une apparence de normalité plutôt légère, chacun des protagonistes cache en fait des épisodes douloureux voire dramatiques dans son passé.

Dans Dormir avec les fantômes, la simplicité du récit mêle fluidité et exposé simple de la fragilité de chacun des protagonistes. Ils portent un fardeau et l’enjeu pour eux est de continuer à avancer, à aller vers les autres sans se laisser tirer en arrière. Caroline Legouix alterne humour et situations cocasses pour mieux faire ressortir sans les révéler complètement les traumatismes des uns des et des autres. La légèreté n’est qu’apparente et la carapace bien fine quand on creuse un peu.

Le gros inconvénient de Dormir avec les fantômes est qu’il est trop court avec sa centaine de pages ! J’aurais aimé passer plus de temps avec les personnages ou que d’autres personnages soient ajoutés à ce petit roman choral. Sur une note un peu plus personnelle, j’ai revécu avec plaisir à travers le personnage d’Océane les premiers émois d’une Française qui s’installe au Québec : qu’il s’agisse du froid, des rues interminables ou de la recherche d’un premier emploi.

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Exil en la demeure, Jean Bello

Exil en la demeure est le premier roman de l’auteur Jean Bello. Je l’ai lu dans le cadre de la Recrue du mois.

Exil en la demeure Jean Bello

Exil en la demeure peut être résumé très simplement : Mattia, qui vit au Québec depuis plusieurs décennies, revient dans son village natal en Italie pour régler la succession de sa tante récemment décédée. Il retrouve des membres de sa famille qu’il n’a pas vus depuis longtemps, les lieux de son enfance et des habitudes italiennes qui ne sont plus les siennes étant donné qu’il est devenu un Nord-Américain.

Le récit de Mattia est un hommage du narrateur à son entourage, au courage de ceux qui ont émigré au Canada ou aux Etats-Unis et au courage de ceux qui sont restés en Italie. Mattia se retrouve lui le cul entre deux chaises : pas assez italien pour se sentir à la maison en Italie et trop italien pour se sentir complètement étranger. Il constate de nombreuses différences après que les membres de la famille ont pris des routes séparées : les conventions sociales qui sont très présentes en Italie, la nécessité de ménager les susceptibilités des uns et des autres, les lourdeurs de l’administration italienne… Et par-delà les différences se trouve le terreau commun de la famille : un village isolé, les anecdotes de l’enfance, les fêtes religieuses… Exil en la demeure est aussi un hommage à la culture italienne. Impossible de ne pas tracer un parallèle avec L’énigme du retour de Dany Laferrière mais en version italienne.

Je l’admets, je n’ai pas été séduit par le roman de Jean Bello. Le style est pourtant agréable mais l’ambition du roman est desservie par un récit confus. Je me suis perdu dans la multitude de personnages. J’ai remarqué un peu tard qu’il y avait un arbre généalogique en fin d’ouvrage mais il est finalement peu utile. Peut-être que chaque personnage n’était pas suffisamment distinct des autres ou que la construction du roman ne m’a pas permis d’y voir clair. J’ai finalement pris le parti de lire chacune des anecdotes comme des petits épisodes indépendants et c’est bien passé comme ça.

Les femmes occidentales n’ont pas d’honneur, Laura T. Ilea

La Recrue du Mois vous propose en ce mois d’août un numéro spécialement consacré au féminisme dans la littérature québécoise. Dans le cadre de ce numéro spécial, j’ai lu le premier roman de l’auteure Laura T. Ilea qui s’intitule Les femmes occidentales n’ont pas d’honneur.

les femmes occidentales n'ont pas d'honneur

Voici un récit dont on connaît l’issue dès le début. Une femme rencontre à Montréal un homme nommé Amran. C’est un immigrant algérien kabyle. Entre eux, c’est tout de suite un amour passionnel tant sur le plan physique que sur celui des sentiments. Mais le problème est qu’Amran s’est engagé à épouser une vierge de son pays. Alors qu’il est tiraillé entre son amour montréalais et le respect de sa culture, la narratrice tente tout pour le faire changer d’avis et le garder à ses côtés. Ce sera peine perdue puisque la tradition sera la plus forte. Un extrait résume bien la force de la culture algérienne: « Moi j’étais le démon noir qui était tenu à l’écart de sa famille, de sa communauté, de ses collègues de travail, de l’univers entier. Son avenir était scellé. La vierge exhibait ses trésors cachés pour lui promettre la paix, la sécurité et le respect » (page 81).

Le récit écrit par Laura T. Ilea lui a été inspiré par une amie qui a vécu une situation similaire. Le texte à la première personne dégage une grande puissance. Suivant une structure chronologique mais dévoilant l’issue et les grands moments à venir, il fait la part belle à ce que ressent et ce que vit la narratrice. Cette dernière est en effet toute entière dans cette relation. Bien qu’elle sache rapidement que celle-ci soit vouée à l’échec, elle déploie nombre de tactiques pour l’obliger à la choisir elle. Tantôt elle le flatte, tantôt elle l’ignore. Mais elle s’accroche à l’espoir de faire changer d’avis Amran qui semble perdu entre ce qu’il éprouve pour cette femme et le fait qu’il soit pour ainsi dire programmé à reproduire le schéma suivi par les siens. Cet homme est-il vraiment sincère ? Pourquoi cette femme fonce dans le mur en connaissance de cause ? Le roman de Laura T. Ilea pose de nombreuses questions à la fois sur les relations homme-femme mais aussi et surtout sur les comportements individuels des deux protagonistes. En particulier en ce qui concerne cette femme qui a tout accepté par amour pour finalement se retrouver rejetée. J’ai eu l’impression de voir se dérouler sous mes yeux une véritable tragédie grecque, une bonne dose d’érotisme en plus. La question centrale étant : peut-on ou doit-on accepter de détruire son bonheur en raison de ses traditions ? C’est un questionnement très moderne qui invite le lecteur à réfléchir. Et l’auteure ne nous facilite pas la tâche puisque Amran, malgré son comportement n’est pas franchement antipathique, ce n’est pas un salaud caricatural. La narratrice n’est de son côté ni naïve ni une furie en quête de revanche. Les femmes occidentales n’ont pas d’honneur est un roman puissant par son style et par les questions qu’il soulève.

Pour terminer, le roman possède évidemment un titre qui interpelle pouvant être compris de deux manières. Tout d’abord au premier degré, comme le laisse entendre Amran pour qui l’honneur est central et est représenté par la virginité de sa promise algérienne. En ce sens, la liberté sexuelle des femmes occidentales est l’opposé de cette définition de l’honneur. Deuxième lecture possible de ce titre choc, l’ironie. En effet puisqu’il est acquis que les femmes occidentales n’ont pas d’honneur, creusons un peu plus loin et regardons de plus près ce qu’elles ont à offrir.

Soleil, David Bouchet

la Recrue du mois

Soleil est le premier roman de David Bouchet. Il a été sélectionné par la Recrue du Mois pour cet ouvrage.

Soleil par David Bouchet

Soleil c’est Souleymane, un jeune garçon qui a immigré avec sa famille du Sénégal à Montréal. Il raconte sa découverte du Québec et l’histoire de sa famille. Jusqu’à ce que son père soit atteint d’un mal qui l’isole de sa famille.

Je suis sensible aux questions d’immigration, ayant moi aussi atterri à Montréal pour y créer une nouvelle vie. J’ai été particulièrement amusé par les anecdotes distillées par l’intermédiaire de Soleil et de ses yeux de nouvel arrivant : le fait de se meubler pour pas cher dans la rue, le club de recherche d’emploi, les premiers yeux portés sur l’hiver et la chaleur des Québécois… Le regard porté sur le Québec avec en miroir la vie au Sénégal est très intéressant à lire.

Les personnages du roman de David Bouchet sont attachants : comment rester insensible vis-à-vis de ce que ressent Soleil par rapport à la situation de son père : ses interrogations, sa détresse et sa colère… De la même manière, son amitié avec Charlotte qui vit seule avec sa mère alcoolique est particulièrement touchante. J’éprouve toujours un peu de méfiance lorsqu’un roman a pour narrateur un enfant car le regard naïf peut fonctionner comme il peut tomber à plat. Mais avec Soleil, ça marche très bien. Nous avons affaire à un narrateur tout en sensibilité, chapeau à David Bouchet pour sa plume juste et fine.

Malgré toutes ces qualités, des personnages attachants, un histoire familiale singulière qui crée des pont entre l’Afrique et le Québec, Soleil est un roman qui me laisse un fort goût d’inachevé. En effet, toute la partie du récit qui concerne l’amitié avec Charlotte tombe à plat une fois que Charlotte a déménagé. C’est extrêmement frustrant puisque le roman débute justement sur la force de cette amitié entre les deux jeunes personnages. Cet arc narratif s’arrête trop brusquement à mon goût. Je suis également gêné par les explications plutôt courtes sur les causes du mal du père. Bref j’en aurais voulu plus !

Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie

Voici un livre que j’ai lu en VO. Ça fait plusieurs fois que je vois passer des articles élogieux sur Americanah, un roman de Chimamanda Ngozi Achidie sur l’histoire d’une Nigériane qui émigre aux Etats-Unis.

Americanah - Chimamanda Ngozi Adichie

Ifemelu est une jeune trentenaire qui vit aux Etats-Unis. Auteure à succès d’un blogue sur la perception des Noirs aux Etats-Unis, elle décide de retourner vivre dans son Nigéria natal qu’elle avait quitté 13 ans auparavant pour mener ses études. Elle avait aussi quitté à l’époque Obinze, son amour de jeunesse, qui est devenu un homme d’affaires à succès, époux et père de famille.

Americanah est un roman qui m’a frappé par la richesse et la multitude des thèmes abordés.
Le premier de ces thèmes est l’immigration des Nigérians aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Il faut d’abord réussir à obtenir les papiers qui permettront de pérenniser le séjour sur le territoire concerné, avec le risque d’être déporté quand on se fait attraper par les autorités sans avoir de papiers. Ifemelu et Obinze, chacun de leur côté vont postuler pour des emplois dont personne ne veut et connaître le chômage et la pauvreté. Cette immigration renvoie les personnages à leurs motivations profondes avec en écho l’absence de perspectives pour ceux qui restent dans un pays gangrené par la corruption des autorités et l’affairisme. L’immigration c’est aussi la prise de conscience de soi, de son accent par exemple et de ses motivations.
Le roman de Chimamanda Ngozi Achidie porte un sujet important : la question de la race. En effet le personnage principal, Ifemelu, prend conscience de la couleur de sa peau quand elle arrive aux Etats-Unis. Au Nigéria, tout le monde est noir, donc le racisme et la différence de perception entre noirs et blancs lui était inconnue. Et cela va même plus loin puisque les Noirs ne sont pas un groupe homogène (une évidence pas si évidente) car aux Etats-Unis, on n’est pas noir de la même manière suivant qu’on est noir américain ou noir d’Afrique ou des Caraïbes. En effet il y a une plus grande proximité entre les noirs africains, d’où qu’ils viennent et qu’ils soient anglophones ou francophones, qu’entre les noirs africains et les noirs américains. Ces différences sont au cœur du blogue tenu par Ifemelu et lui valent une reconnaissance sur le sujet de la diversité et de l’identité noire. En ce sens, le petit cousin d’Ifemelu, Dike, est un jeune noir de parents nigérians mais élevé aux Etats-Unis. Coupé de son histoire et cruellement soumis aux préjugés américains sur la couleur de sa peau, il se pose de nombreuses questions sur qui il est.
Mais que serait un grand roman sans une histoire d’amour ? Ou plutôt des histoires d’amour. Il y a bien sûr l’amour de jeunesse très puissant entre Ifemelu et Obinze qui souffre de la distance entre eux. Mais il est aussi question de l’amour entre une femme noire et un homme blanc, entre une femme noire africaine et un homme noir américain mais aussi du mariage au Nigéria qui, tel que décrit par l’auteure, n’est pas fondé sur les sentiments mais plutôt sur une relation faite de prestige et de protection économique.
Chimamanda Ngozi Achidie possède un certain talent pour faire le portrait de certains groupes. Ses observations sociologiques des Nigérians de retour au pays après une période d’expatriation est très drôle. Sa description d’une certain milieu universitaire libéral aux Etats-Unis est pleine de finesse : l’hypocrisie des blancs est dénoncée, de même que les maladresses des blancs libéraux. Enfin son regard sur ceux qui brassent des affaires au Nigéria est sans concessions.
Notons également la place très importante de la littérature et de l’écriture dans Americanah. Les livres, les blogues (avant que ne déferlent les réseaux sociaux), la poésie sont autant de sources d’information et de lieux de débats pour els personnages du roman.
J’ai beaucoup appris sur l’obsession des femmes noires pour leurs cheveux à la lecture d’Americanah. Le sujet est complexe et loin d’être anodin : la coiffure est une affaire d’image. Des tresses, une coupe afro ou des cheveux lissés n’envoient pas du tout le même message aux personnes de l’entourage familial ou professionnel. Sans compter qu’une bonne coiffure requiert des mains expertes et beaucoup de temps !

Outres ses nombreux thèmes, je retiens d’Americanah l’écriture intelligente de Chimamanda Ngozi Achidie. L’enchaînement des chapitres donne beaucoup d’information sur la suite du récit tout en permettant à l’auteure de revenir sur le parcours de chacun des personnages (Ifemelu et Obinze principalement). Les chapitres s’alternent mais pas de manière systématique. Le suspense est ainsi maintenu tout au long du roman sur l’histoire des deux protagonistes. J’ai aussi beaucoup aimé les personnages crédibles tout en nuance. Il aurait pu être facile de tomber dans la caricature du gentil pauvre immigrant ou des intellectuels déconnectés de la réalité. Mais il n’en est rien.

Le fait que le personnage principal du roman soit une femme noire m’a fait penser à un article lu il y a quelques temps sur Slate qui déplorait l’absence de femmes noires dans l’espace médiatique en France. C’est aussi le constat fait par Chimamanda Ngozi Achidie pour les femmes noires américaines, notamment dans ce passage du roman où pour illustrer son propos, Ifemelu achète quantités de magazines féminins dans un kiosque à journaux : il ne s’y trouve qu’une poignée de femmes noires, et encore plutôt claires de peau. De même les teintes de rouge à lèvres ne sont pas conçues pour les femmes noires et même les pansements de couleur chair qui conviennent très bien à des peaux blanches sont complètement inadaptés pour des peaux noires. Je me demandais donc si vous aviez des suggestions de livres français/francophones avec une ou des femmes noires comme personnage principal. Le seul exemple qui me vient à l’esprit est Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye, récompensé par un prix Goncourt et que j’ai lu il y a quelques années. D’autres idées ?

L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, Romain Puértolas

Si vous suivez un tant soit peu l’actualité du livre en France, ce titre à rallonge et cette couverture jaune pétant ne vous auront pas échappé. Vous n’êtes pas le ou la seul(e) car L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea et son auteur Roman Puértolas ont été un des phénomènes de librairie de l’année 2013. Ce n’est que récemment que je l’ai lu.

L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea - Roman Puértolas

 

Comme le dit le titre, il s’agit bien de l’histoire d’un fakir qui est resté coincé dans une armoire Ikea et qui vit tout un périple à travers l’Europe.

L’histoire du fakir est invraisemblable, pleine de clichés et un brin cucul, mais ça marche. La principale qualité est que l’auteur ne se prend pas au sérieux. Aussi futile que soit la raison de la présence de ce Fakir en France, l’histoire est jolie et amusante. Elle comporte une bonne partie de loufoque assumé. Les côtés lourdingues agacent un peu comme tous les jeux de mots pourris sur le nom du personnage principal. L’exactitude n’est pas le souci principal de Romain Puértolas. Ainsi nous avons un fakir qui en appelle à Bouddha et qui vraisemblablement se laisse pousser les cheveux sous son turban comme le font les Sikhs, alors qu’un fakir est issu d’une branche de l’islam. Notons aussi les clichés sur les Gitans qui ne feront pas grand chose pour la réconciliation entre les peuples. C’est d’autant plus étonnant que Romain Puértolas souhaite en filigrane sensibiliser le lecteur à la question des migrants illégaux qui traversent l’Europe pour échapper à la misère dans leur pays et qui se heurtent à des fonctionnaires de police qui n’ont comme unique objectif que de passer la patate chaude à leur voisin.

Bref cette histoire est facile à lire et divertissante (un remède contre la morosité ambiante ?). On consomme et on passe très vite à autre chose sans se poser trop de questions.

La courte année de Rivière-Longue, Elise Lagacé

La courte année de Rivière-Longue est le premier roman d’Elise Lagacé. Je l’ai lu dans le cadre de la Recrue du Mois.

La courte année de Rivière Longue Elise Lagacé

Rivière-Longue est un petit village du Québec. Le lecteur le découvre alors qu’Aline, jeune mère de famille, quitte le domicile familial pour s’échapper. Elle fuit Rivière-Longue et sa dynamique malsaine. Ce petit village est en effet peuplé de personnes renfermées sur elles-mêmes et méfiantes envers les « étranges », ceux qui viennent de l’extérieur. C’est le royaume des potins et des petites magouilles pour embêter le voisin ou profiter de lui. Quiconque sort du moule préétabli est rapidement ostracisé. Aline laisse derrière elle Marcelle, sa fille de 5 ans, qui va devoir vivre sans sa mère au milieu d’un village peuplé d’étranges personnages. Survient alors Roland. Il vient de l’extérieur du village et entreprend de retaper une vieille maison de Rivière-Longue.

Ce roman est écrit un peu à la manière d’un conte avec ses personnages aux traits grossis juste ce qu’il faut pour qu’on comprenne bien à qui on a affaire : le maire beau parleur, les deux vieilles commères, le fou un peu rêveur, le taciturne au grand cœur, la vieille originale… Un conte n’est jamais innocent, il cache des douleurs et des leçons. C’est le cas ici car sous des dehors simples, ce récit est riche en émotions avec de l’intimidation, de la violence psychologique, des injustices… Et c’est là la force d’un conte : dire simplement des choses compliquées. Le style choisi par Elise Lagacé fait qu’il émane de la courte année de Rivière-Longue une véritable voix littéraire. Ce roman se lit avec grand plaisir.

Enfin je trouve qu’il y a du Survenant dans l’histoire de cette petite communauté qui vit repliée sur elle-même, qui chasse ceux qui sont différents et qui ferme la porte aux étrangers. Roland, celui qui vient de l’extérieur, bouleverse tout par sa présence et sa non connaissance des mœurs particulières du village. Le départ d’Aline et l’arrivée de Roland sont des révélateurs de ce qui ne va pas à Rivière-Longue. Ce village est tellement tricoté serré qu’il n’y a pas de place pour ceux qui sont différents. Faut-il y voir une métaphore avec le Québec d’aujourd’hui, bien ancré dans ses certitudes et sa culture, alors que les immigrants et les Québécois qui s’expatrient sont nombreux ?

Demain, j’ai rendez-vous avec Bob Dylan, Dora Breitman

Dora Breitman publie un premier roman avec Demain, j’ai rendez-vous avec Bob Dylan.

La narratrice, Juliette, est une trentenaire récemment divorcée qui raconte sa passion pour Bob Dylan et son engagement dans une association du Marais, le quartier de Paris où elle vit. Après une rencontre avortée avec Bob Dylan, elle narre son quotidien avec ses amies, la communauté juive et les membres de son association. Entre deux mésaventures, elle recherche l’amour sans trop vouloir y croire.

demain j'ai rendez-vous avec Bob Dylan, Dora Breitman

Demain, j’ai rendez-vous avec Bob Dylan est un roman de chick lit. Le récit est en effet dans les codes du genre. Le ton léger et volontiers plein d’autodérision de la narratrice permet de décrire la vie d’une célibataire avec beaucoup d’amis. Elle partage ses passions et mène ses combats tout en cherchant l’amour. Si le sujet du roman n’est pas très original, Dora Breitman a tout de même choisi de situer l’action de son roman dans la communauté juive du Marais. L’auteure propose en effet au lecteur de faire connaissance avec les juifs ashkénazes, les juifs séfarades et les juifs orthodoxes. En toile de fond de ce quartier, on retrouve les souvenirs de l’immigration des aïeux et celui plus douloureux de la Rafle et de la déportation dans les camps de concentration. Dora Breitman émaille le texte de termes propres à la religion juive et à la communauté juive (en yiddish et en arabe pour respecter la parité ashkénazes et séfarades). Un glossaire qui définit les principaux termes est disponible en fin d’ouvrage. Il faut aussi souligner que contrairement à beaucoup de romans du genre, les personnages du roman ne sont pas caricaturaux. Juliette n’est pas une jeune écervelée naïve. C’est une femme mâture dans sa tête. Et Lilli, sa meilleure amie, bien que nettement plus délurée que le personnage principal, est tout à fait crédible. Les personnages secondaires sont eux présents pour servir les différents moments du récit mais Dora Breitman n’a pas eu besoin ni de forcer le trait ni de les enfermer dans des stéréotypes.

Toutefois, Juliette la narratrice étant une personne qui passe du coq à l’âne, sa personnalité est rendue dans un style d’écriture que j’ai trouvé confus. Il y a beaucoup de détails qui ne servent pas le récit. J’en suis même arrivé à me demander ce que voulait nous dire Dora Breitman, où elle voulait emmener son lecteur. Par ailleurs, je dois avouer que la passion pour Bob Dylan de la narratrice et, on le devine, de l’auteure, n’est pas vraiment communicative. Je ne suis certes pas aidé par le fait que je ne connaisse pas l’œuvre de Dylan. Mais le chanteur américain est tout de même le prétexte du roman et malgré le fait que tout le monde dans le roman semble lui vouer une passion qui dépasse parfois l’entendement, cet amour pour Bob Dylan n’est ni expliqué ni vraiment partagé avec le lecteur et c’est dommage.

Lecture légère, Demain, j’ai rendez-vous avec Bob Dylan est destiné aux amateurs de chick-lit qui veulent découvrir un nouvel univers.

Bandini, John Fante

Après Mon chien Stupide, le dernier roman de John Fante, qui a été publié à titre posthume, je poursuis ma découverte de cet auteur américain avec son roman intitulé Bandini.

Svevo Bandini est un immigré italien qui vit dans une petite ville du Colorado avec Maria, sa femme, et ses trois fils, Arturo, August et Frederico. Alors que l’hiver s’installe, Svevo ne peut plus travailler en raison du temps. Cela tombe mal car l’ardoise qu’il a chez l’épicier ne cesse de s’allonger et les loyers en retard ne se comptent plus. C’est dans ce contexte déjà tendu qu’arrive une lettre de sa belle-mère, une personne qu’il déteste. Il décide de s’éclipser de la maison pendant le séjour de celle-ci chez lui. Son départ va entraîner toute une série d’événements.

Le récit suit le plus souvent Arturo Bandini, le fils aîné de la famille. La vie à l’école et à la maison sont présentées à travers ses yeux. Ce qui permet à John Fante de balayer plusieurs thèmes. Bandini est avant tout une chronique de la pauvreté car le roman décrit la dure réalité d’une famille pauvre : des menus qui reviennent souvent, des vêtements élimés et rapiécés, une maison vétuste. La charité, bien que bien intentionnée, est vécue comme une insulte. Arturo en particulier est fier et a envie de goûter au monde des riches. S’appeler Bandini dans le Colorado des années 30, c’est aussi être un métèque selon les propres mots de l’auteur. John Fante met le doigt sur ce décalage : la famille Bandini est marquée par ses origines italiennes même si les trois enfants sont nés aux Etats-Unis et Américains de plein droit. John Fante décrit également le poids du catholicisme : Maria est une véritable dévote qui vit le rosaire à la main et les deux aînés sont marqués par l’éducation catholique qu’ils reçoivent à l’école. August le cadet se voue d’ailleurs à une carrière de prêtre. Arturo a lui plus de choses à se reprocher mais la pensée catholique reste présente dans ses réflexions. Il a des désirs d’émancipation et en même temps il s’inquiète des pêchés qu’il commet et garde à l’esprit la possibilité de se confesser pour se faire pardonner. Il est aussi question de la figure du père. Svevo Bandini représente un modèle pour Arturo. Celui-ci admire son père quelles que soient ses actions. Même quand la raison semble l’emporter, Arturo se ravise et pardonne tout à son père. Il se dégage une certaine tendresse pour lui. Il l’admire pour son travail et sa personnalité et il comprend ses écarts de conduite. Le patriarche italien est une figure puissante dans le roman.

L’écriture de John Fante est donc admirable. En plus de décrire la réalité de son époque, Bandini est surtout une histoire bien racontée. Je n’ai pas lâché ce roman. Il est relativement court mais très riche. Le récit est largement autobiographique si j’en crois la postface. Arturo Bandini serait l’alter ego de John Fante. Un auteur que j’ai envie de lire à nouveau.

Malgré tout, on rit à Saint-Henri, Daniel Grenier

La recrue du mois de septembre est Daniel Grenier avec son premier recueil de nouvelles intitulé Malgré tout on rit à Saint-Henri.

Disons le tout de go, Saint-Henri n’est ni le sujet principal ni le thème qui unit les nouvelles de cet ouvrage. La toile de fond des nouvelles est parfois ce quartier ouvrier de Montréal mais Saint-Henri est surtout une manière pour Daniel Grenier de fixer un repère dans son écriture. C’est une atmosphère qui transpire dans ce livre. Peut-être dira-t-on plus tard de Daniel Grenier qu’il a eu une période Saint-Henri comme Picasso a eu une période bleue.

Bien qu’hétérogènes dans les thèmes et le style, les nouvelles de Malgré tout on rit à Saint-Henri partagent comme point commun la posture de l’auteur comme observateur du quotidien. Kaléidoscopes de moments fugaces, de portraits et de dialogues, les textes de Daniel Grenier sont des invitations à la réflexion.  C’est particulièrement le cas pour les nouvelles consacrées à des portraits, à des anecdotes ou à des descriptions d’itinérants. Courtes et percutantes, ces nouvelles prennent à la fois des allures de carnet d’exploration urbain et de journal intime. Elles suscitent des interrogations chez le lecteur. On ne voit pas toujours très bien où Daniel Grenier veut en venir : ni argument ni chute à la fin de la nouvelle mais les textes proposent une ambiance et un point de vue sur des événements tous simples.

D’autres nouvelles, plus longues et plus construites amènent un autre rythme de lecture. Ainsi cette histoire d’un narrateur épris d’immigrants brésiliens qui est la nouvelle la plus longue du recueil. C’est celle qui ressort le plus car elle est la plus fouillée et la plus dérangeante. La passion et le malaise sont palpables tout au long du récit. Ambiance malsaine également pour le récit du service funéraire d’une jeune femme nommée Ariane. Daniel Grenier ne choisit pas des thèmes faciles. Même quand on suit un pensionnaire de CHSLD qui cherche à s’échapper, l’humour, bien que présent, suscite des rires jaunes. Et que dire de l’ambiance sombre dans la nouvelle qui décrit un kidnapping. Moments étranges, presque intemporels, instants fugaces, récits sombres, je ressens une approche intellectuelle dans l’écriture de Daniel Grenier. Observateur attentif, il tourne autour des événements pour prendre l’angle le plus intéressant, celui qui va donner du relief au récit.

Ca ne fait pas de Malgré tout on rit à Saint-Henri un livre grand public mais il plaira aux profils de lecteurs plus littéraires qui trouveront amplement leur compte dans l’univers et le style de Daniel Grenier.