Bruit de fond, Don DeLillo

Je reviens avec une nouvelle lecture de l’auteur américain Don DeLillo, cette fois-ci avec un roman publié en 1985 qui s’intitule Bruit de fond.

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Jack Gladney est professeur dans une petite université américaine. Son domaine de spécialité est la vie d’Hitler. Il mène une vie relativement calme avec sa quatrième femme et ses quatre enfants. Un accident fait apparaître un nuage toxique dans la petite ville.  S’en suit un mouvement de panique et une évacuation rapide de la population. Jack fuit avec sa famille mais il a été en contact avec le nuage et se voit déjà mort.

Bruit de fond est un roman en 3 parties. La première expose simplement les différents protagonistes.La deuxième partie est centrée autour de l’épisode du nuage toxique, entre la fuite, l’intervention d’hommes en combinaisons et la préparation de la population à un éventuel nouvel épisode de nuage toxique. La troisième partie intitulée Dylarama voit Jack apprendre que sa femme Babette expérimente en secret un traitement médical qui supprime la peur de la mort, le Dylar. Ce médicament lui est fourni par un certain Willie Mink avec qui Babette a couché.

Malgré ses 30 ans, Bruit de fond est finalement un roman très actuel qui, plaqué sur notre quotidien de 2015, résume bien nos angoisses modernes. La technologie est à la fois destructrice et porteuse de nombreux espoirs. La religion n’est pas d’un grand secours car même les bonnes sœurs en charge de soigner deux des personnages admettent qu’elles ne croient pas en Dieu ni à une vie après la mort. L’ambiance du roman est angoissante et dérangeante mais contraste avec un quotidien qu’on pourrait qualifier de normal. On découvre en effet une famille recomposée avec des enfants très murs. Heinrich est un adolescent très au courant de l’actualité et féru de science (à noter que ce personnage a donné son nom à la chanson The Heinrich Maneuver du groupe américain Interpol). Denise est une jeune fille clairvoyante sur ce qui ne va pas chez sa mère, elle détecte qu’elle cache quelque chose. Steffie est elle plus neutre. Wilder, le petit dernier, vit un épisode mystérieux sur l’autoroute qu’il traverse en tricyle.

Avec Bruit de fond, Don DeLillo est fidèle à son angle de témoin de notre société moderne. Comme avec ses autres romans, le rythme est lent et son style est subtil. Il n’est pas d’un abord facile mais on se rend compte que rien n’est laissé au hasard dans ses textes.

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Rommel face au débarquement 1944, Amiral Friedrich Ruge

On dit que les gagnants écrivent l’Histoire. Ça signifie que c’est leur vision des événements qui reste gravée dans le marbre. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas lire la version des vaincus. En l’occurrence le débarquement tel que vu par les Allemands via cet ouvrage de l’amiral Friedrich Ruge qui était à l’époque affecté à l’état-major du maréchal Rommel.

Rommel face au débarquement, Amiral Friedrich Ruge

En décembre 1943, le maréchal Rommel prend le commandement de la défense des côtes de l’Europe de l’Ouest. En effet, l’armée allemande craint qu’un débarquement anglo-américain ne se produise au printemps 1944. Et tous les signes pointent vers un débarquement dans le bassin de Seine, là où il aura effectivement lieu. L’armée allemande est le fantôme de celle de 1940 avec ses redoutables divisions blindées. Les principaux points faibles de la Wehrmacht sont les suivants : perte de contrôle de l’espace aérien, perte de la suprématie maritime et troupes au sol considérablement affaiblies par le front russe. Etre décembre 1943 et juin 1944, Rommel réalise un état des lieux des forces allemandes qui défendent les côtes du Danemark jusque dans les Landes. Sa stratégie consiste à concentrer les défenses sur les côtes pour empêcher l’ennemi de mettre le pied sur la terre et organiser une tête de pont pour une offensive terrestre de grande envergure. Or même si sa stratégie semble frappée au coin du bon sens quand on sait ce que les Alliés préparent, Rommel a toutes les peines du monde à convaincre ses supérieurs et ses collègues du bien fondé de sa stratégie (et c’est finalement tant mieux pour l’Histoire direz-vous). Il a même du mal à se faire entendre pour mettre en place des obstacles au débarquement telles que des blocs de ciment sur les côtes et l’installation de mines marines dans le bassin de Seine. Et il a beau suggérer d’orienter les pièces d’artillerie vers la mer et de les protéger et de les camoufler à l’aide de casemates en béton, les défenses côtières sont finalement très hétérogènes.

Aussi talentueux stratège militaire qu’il soit, Rommel se heurte en fait à une mauvaise coordination entre les différentes armes : en particulier entre l’armée et la marine. Il milite pour un commandement unique sur les différents fronts mais il ne sera jamais écouté ni par l’état major de l’armée ni par Hitler et son entourage. Les divisions blindées se trouveront trop éloignée des premières lignes et arriveront trop tard pour empêcher l’ennemi de s’installer sur les côtes normandes puis d’avoir accès aux villes de Cherbourg et de Caen. Dès lors, la bataille sera inéluctablement perdue pour les Allemands, ce que se refusera toujours à reconnaître Hitler.

Les événements sont présentés par un homme qui a été proche de Rommel pendant ces moments cruciaux. En plus de la chronologie des événements militaires, cet ouvrage présente le quotidien d’un état-major et des hommes qui le composent. L’amiral Ruge sera jusqu’à un certain point le confident de Rommel qui s’inquiète de la direction politique de l’Allemagne. Évaluant très bien les rapports de force entre Allemands, Alliés et Russes, il évoque la possibilité d’une négociation avec l’Occident afin de reconstruire l’Allemagne. J’ai été frappé par la justesse de la lecture de la situation par Rommel. Ce livre propose aussi une ouverture sur le personnage qu’aurait pu représenter Rommel à la fin de la guerre. Il aurait pu représenter la seule alternative politique à la tyrannie juqu’au boutiste d’Hitler. Forcé au suicide car soupçonné d’avoir participé à l’attentat de juillet 1944 contre Hitler, Rommel aurait eu la légitimité pour négocier avec les Occidentaux pour épargner des vies et profiter d’avoir certains gages en main pour obtenir des contreparties pour l’Allemagne.Véritable document historique, cet ouvrage vient aussi souligner les divergences qui existaient entre la Wehrmacht et les SS, des nuances qu’on a parfois tendance à oublier.

En décembre 1943, le maréchal Rommel prend le commandement de la défense des côtes de l’Europe de l’Ouest. En effet, l’armée allemande craint qu’un débarquement anglo-américain ne se produise au printemps 1944.

mauvaise coordination entre les différentes armes : en particulier l’armée et la marine, milite pour un commandement unique sur les différents fronts
Rommel écouté ni par l’état major de l’armée ni par Hitler et son entourage

l’armée allemande est le fantôme de celle de 1940 avec ses divisions blindées redoutables
points faibles de la Wehrmacht : perte de contrôle de l’espace aérien, perte de la suprématie maritime et troupes au sol considérablement affaiblies par le front russe
concentrer les défenses sur les côtes pour empêcher l’ennemi de mettre le pied sur la terre et organiser une tête de pont pour une offensive terrestre de grande envergure

obstacles au débarquement : blocs de ciment, miner le bassin de Seine
protéger et camoufler les pièces d’artillerie à l’aide de casemates

Ouverture sur le personnage qu’aurait pu représenter Rommel à la fin de la guerre
la seule alternative politique à la tyrannie juqu’au boutiste d’Hitler
forcé au suicide
folie de Hitler, négocier avec les occidentaux pour épargner des vies et profiter d’avoir certains gages en main pour obtenir des contreparties, se concentrer sur le front de l’Est
les divergences entre la Wehrmacht et les SS, nuances qu’on a parfois tendance à oublier

Les Bienveillantes, Jonathan Littell

Gagnant du prix Goncourt 2006, ce livre a beaucoup fait parler de lui. En bref, il s’agit de la description de l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale du point de vue d’un nazi. La presse a beaucoup parlé de ce phénomène littéraire et j’ai moi-même été séduit par les quelques critiques que j’ai lues.

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On suit le Dr Maximilien Aue, jeune juriste Allemand, qui a été recruté par la SS. Son parcours le fait voyager dans toute l’Europe en guerre, en bonne partie sur le front de l’Est. Le récit commence en Ukraine où ont lieu les premières actions contre les Juifs et où le lecteur se familiarise avec l’appareil nazi et ses relations avec l’armée allemande. Nous allons par la suite dans le Caucase, où l’armée allemande tente de se rapprocher de la Russie. La question de la population juive de cette région s’avérera beaucoup plus complexe qu’en Europe Orientale. Le narrateur nous emmène après dans l’enfer de Stalingrad, véritable tournant de la guerre pour l’Allemagne nazie. Le Dr Aue en ressortira blessé et décoré pour se voir confier un poste administratif à Berlin au sein de l’équipe d’Himmler. Son rôle est de superviser les relations entre les camps de concentration et les entreprises allemandes à la recherche de main d’œuvre pour poursuivre l’effort de guerre. Dans la dernière partie du roman, on assiste à la chute de Berlin au fur et à mesure des bombardements anglais et de l’avancée inexorable des troupes russes.

Les Bienveillantes est tout simplement un livre brillant en tout point. Ça fait longtemps que je n’ai pas lu un roman avec un tel niveau de langue française. Le récit est également d’une grande qualité. Malgré la longueur du roman (900 pages), je ne l’ai pas trouvé ennuyeux. Il s’agit là d’une œuvre littéraire qui se lit très bien. Les Bienveillantes était en lice pour le prix Goncourt avec le dernier roman de Michel Houellebecq. Je n’ai pas lu celui-ci mais s’il est dans la même veine que ses ouvrages précédents (Extension du domaine de la lutte, plate-forme et les particules élémentaires, que j’ai tous beaucoup aimés), c’est certain qu’il ne tenait pas la route face à une telle compétition. Houellebecq est un très bon auteur mais, avec ce livre, Jonathan Littell place la barre très haut. Ne serait-ce que pour toute la recherche effectuée sur les faits historiques de la Seconde Guerre Mondiale. Si le narrateur et ses proches sont fictionnels, les personnages de l’armée allemande tel Paulus ainsi que les pontes de l’organisation nazie comme Himmler, Goebbels ou Speer et d’autres tristes personnages comme Eichmann sont eux bels et bien réels. Ce n’est d’ailleurs pas facile au départ de se repérer dans les grades militaires et SS que l’auteur a choisi de garder en allemand. Mais au fur et à mesure du récit, on se familiarise avec tout ça. Les Bienveillantes démonte l’appareil nazi et ses jeux de pouvoir. Le lecteur vit de l’intérieur avec le narrateur la confiscation du pouvoir par un parti qui veut tout contrôler. Au niveau de la qualité des recherches, j’ai particulièrement apprécié le passage où le narrateur discute avec un spécialiste de la linguistique dans le Caucase. Là encore le travail de recherche et de documentation a dû être énorme.

On peut bien sûr avoir des réticences à s’attaquer à ce morceau. Les 100 premières pages sont les plus difficiles à lire tant les descriptions des exécutions des Juifs puis de leur génocide sont explicites. Paradoxalement, ce sont les pages les plus dures à digérer mais ce ne sont pas les pires. Le narrateur est dans sa carrière amener à gérer certains aspects logistiques de la solution finale et alors que les descriptions sont moins crues, l’horreur est à son comble avec la systématisation et la rationalisation des l’extermination des Juifs avec le transport ferroviaire et les camps de concentration.

Le narrateur est d’ailleurs un individu terriblement normal. Il n’est pas particulièrement mauvais, c’est encore moins quelqu’un de bien. C’est une personne avec ses défauts (ils sont nombreux) et ses qualités (il en a). Ce nazi-là ne correspond pas à l’image du salaud qu’on voudrait bien avoir en tête pour expliquer l’inexplicable.

Si j’osais y aller d’une analyse littéraire, je dirais que les Bienveillantes est le roman du corps : le corps malade, le corps blessé, le corps qui désire, le corps qui jouit, le corps en santé, le corps en décomposition, le corps affaibli, le corps ivre. C’est le corps qu’on retrouve en filigrane dans tout le roman. L’esprit lui-même est soumis au corps. Ainsi l’esprit du narrateur est clair quand son corps est en forme mais dès que ce dernier commence à éprouver des difficultés dues à la fatigue ou à des blessures, la tête ne fonctionne plus aussi bien. Les exégètes de Littell ne manqueront pas d’y trouver leur compte.

Je n’ai trouvé que deux choses que je n’ai pas aimé dans ce livre : les épisodes de délire du narrateur à Stalingrad et dans la maison de sa sœur. Pour moi, ça ne cadre pas avec le reste qui est bassement terre-à-terre.
A noter l’épisode étonnant de la rencontre avec Adolf Hitler vers la fin du roman dont le narrateur s’étonne qu’il ne soit pas rapporté dans les livres d’histoire. Je n’en dis pas plus : à vous les Bienveillantes !

Ma note : 5/5.

Je vous renvoie ici à l’analyse du roman faite par Pierre Foglia, le chroniqueur de la Presse. Comme lui, j’ai été frappé par cette phrase du livre qui résume tout :

On a beaucoup parlé après la guerre de l’inhumain. Mais l’inhumain, excusez-moi, cela n’existe pas. Il n’y a que de l’humain et encore de l’humain.

La part de l’autre, Éric-Emmanuel Schmitt

Voilà un exercice de style inhabituel sur un sujet sensible. L’idée derrière de La Part de l’Autre d’Éric-Emmanuel Schmitt est la question suivante : que se serait-il passé si Adolf Hitler avait été admis à l’École des Beaux-Arts de Vienne alors qu’il avait 19 ans ? A n’en pas douter la face du monde en aurait été bien changée.

Le roman commence le jour même où les résultats de l’examen des Beaux-Arts sont rendus publics. Dès lors on va suivre d’un côté Adolf H qui a été accepté et de l’autre Hitler qui a vu sa candidature refusée. La vie des deux hommes diverge rapidement. L’un poursuivra dans le domaine artistique alors que l’autre se lancera sur une voie bien connue de l’Histoire. Chacun vivra différemment la première guerre mondiale et le comportement vis-à-vis de leurs semblables sera radicalement différent.

Je m’attendais à une caricature de roman avec d’un côté le gentil et de l’autre le méchant. J’ai été en fait agréablement surpris par la manière de traiter le sujet. Les portraits de Hitler sont globalement assez nuancés. On peut juste regretter le fait que le bon Hitler s’en sort notamment grâce à une psychanalyse (menée par Freud lui-même !) qui le libère dans ses relations avec les femmes alors que le Hitler historique ne serait qu’un énorme frustré. Pour le coup j’ai trouvé ça caricatural. Mais à part ça, la lecture est plaisante : les amateurs d’histoire y trouveront leur compte, de même que ceux qui s’interrogent sur l’origine du mal. J’ai bien aimé aussi la géopolitique fiction proposée du côté du gentil Hitler avec une deuxième guerre mondiale qui n’a pas eu lieu. Éric-Emmanuel Schmitt a réussi à faire un bon livre avec un sujet qui au départ est loin d’être plaisant.

Ma note : 4/5