Dormir avec les fantômes, Caroline Legouix

La publication d’un roman peut passer par l’étape du recueil de nouvelles. C’est le cas pour Caroline Legouix qui avait publié fin 2012 un recueil intitulé Visite la nuit que j’avais lu (et apprécié). Elle publie maintenant un roman au titre tout aussi nocturne : Dormir avec les fantômes.

Océane, jeune française qui émigre au Québec, vient de poser ses valises dans un hôtel de Montréal. Elle fait connaissance avec une excentrique voisine de chambre nommée Lilou et tombe sous le charme de Victor, le réceptionniste de l’hôtel. Et elle fait rapidement la connaissance de Colette, une ancienne actrice. Sous une apparence de normalité plutôt légère, chacun des protagonistes cache en fait des épisodes douloureux voire dramatiques dans son passé.

Dans Dormir avec les fantômes, la simplicité du récit mêle fluidité et exposé simple de la fragilité de chacun des protagonistes. Ils portent un fardeau et l’enjeu pour eux est de continuer à avancer, à aller vers les autres sans se laisser tirer en arrière. Caroline Legouix alterne humour et situations cocasses pour mieux faire ressortir sans les révéler complètement les traumatismes des uns des et des autres. La légèreté n’est qu’apparente et la carapace bien fine quand on creuse un peu.

Le gros inconvénient de Dormir avec les fantômes est qu’il est trop court avec sa centaine de pages ! J’aurais aimé passer plus de temps avec les personnages ou que d’autres personnages soient ajoutés à ce petit roman choral. Sur une note un peu plus personnelle, j’ai revécu avec plaisir à travers le personnage d’Océane les premiers émois d’une Française qui s’installe au Québec : qu’il s’agisse du froid, des rues interminables ou de la recherche d’un premier emploi.

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Ginette Kolinka – Une famille française dans l’Histoire, Philippe Dana

Ginette Kolinka est une femme de 90 ans. A l’âge de 19 ans, elle a été déportée dans le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.

Ginette Kolinka - Philippe Dana

Philippe Dana était resté pour moi le présentateur de « ça cartoon », l’émission de dessins animés de Canal+ que certains d’entre vous ont peut-être connue comme moi pendant leur enfance. Quelle surprise de le retrouver auteur ! Avec ce livre Philippe Dana dresse le portrait d’une époque. Tout d’abord l’enfance de la jeune Ginette Cherkasky dans le Paris de l’entre deux-guerre. Entre le progrès social du Front Populaire et la montée de l’extrême-droite, c’est bientôt la Seconde Guerre Mondiale. Avec la défaite rapide de la France et la mise en place du gouvernement de Vichy arrivent des interdictions successives pour les Juifs, puis le port obligatoire de l’étoile jaune. La famille de Ginette parvient à fuir Paris et à atteindre la zone libre, non occupée par les Allemands. Jusqu’à la dénonciation qui conduira Ginette, avec plusieurs membres de sa famille à la prison des Baumettes, puis Drancy avant d’être mise dans un convoi ferroviaire à destination d’Auschwitz-Birkenau. Le récit de ces longs mois à côtoyer la mort tout en se retrouvant dépouillée de son humanité est tout simplement poignant et révoltant à lire.

Le récit que Philippe Dana a recueilli auprès de Ginette Kolinka constitue un témoignage essentiel des rares personnes qui ont survécu aux camps et aussi au temps qui passe. C’est une prise de conscience indispensable à l’heure où certains continuent à nier ou à minimiser ce processus de mort industrialisée et à l’heure où les discours d’extrême-droite connaissent un regain en France, dans plusieurs pays européens, aux Etats-Unis et en Russie.

Je reprocherais juste au récit quelques digressions sur la vie du célèbre fils de Ginette Kolinka. En effet elle est la maman de Richard Kolinka, le batteur du groupe Téléphone (aujourd’hui actif sous le nom Les Insus). Cela fait bien évidemment partie de la biographie de Ginette Kolinka mais j’ai senti un décalage avec le reste du roman.

Ginette Kolinka, une famille française dans l’Histoire est un roman que je n’ai pas lâché. J’en recommande la lecture. Merci Ginette Kolinka. Merci Philippe Dana.

14, Jean Echenoz

L’auteur français Jean Echenoz propose un court roman sur fond de Première Guerre mondiale. Ce roman est sobrement intitulé 14.

14-Jean-Echenoz

Anthime est un jeune vendéen qui est mobilisé dans les premiers avec plusieurs jeunes hommes de son âge. Le roman commence dans un esprit léger, chacun pensant que la guerre va être courte. Ce début de guerre quasiment euphorique tranche au fur et à mesure que les soldats font connaissance avec le quotidien des tranchées, la mort qui frappe soudainement, les blessures, les parasites, les attaques de gaz, les désertions. Bref les horreurs de la guerre. Chacun se surprend à espérer la belle blessure, celle qui permettra de retourner à la vie civile sans être trop amoché. Et attendant, on consomme de l’alcool pour se donner du courage. A l’arrière, les civils se réinventent une vie alors que les villages sont vidés des jeunes hommes partis au front et que les usines doivent tourner pour approvisionner les armées dans le cadre de l’effort de guerre.

Avec 14, Jean Echenoz signe un roman tout en sobriété, dans un style littéraire certes, pour décrire la dure réalité que découvrent les jeunes hommes mobilisés lors de la Première Guerre Mondiale. Leur naïveté se transforme petit à petit en désarroi puis en résignation dans ce roman court mais riche. Entre les parcours individuels d’une génération sacrifiée et l’Histoire avec un grand H, voici un ouvrage touchant et nécessaire qui doit faire partie de notre devoir de mémoire.

Freedom, Jonathan Franzen

Je lis régulièrement un livre en anglais afin de ne pas perdre l’habitude de manipuler la langue anglaise. Dernièrement j’ai fait la part belle à David Foster Wallace avec son roman Infinite Jest et son recueil d’articles Consider the lobster. Autre auteur américain contemporain, Jonathan Franzen signe lui aussi des articles et des nouvelles. Freedom est un pavé de 500 pages qui se lit presque d’une traite.

Freedom raconte la vie d’une famille américaine, les Berglund. Patty, la mère, est une ancienne joueuse de basketball de haut niveau. Sa carrière a été interrompue au niveau universitaire en raison d’une blessure au genou. Elle épouse Walter, un juriste passionné par la protection de l’environnement. Ils ont deux enfants. Jessica l’aînée est de nature indépendante. Son frère Joey est couvé par sa mère toute son enfance et rompt brusquement avec sa famille pendant son adolescence. Un autre personnage fait partie de l’histoire de la famille. Il s’agit de Richard un ami de longue date. Autrefois colocataire de Walter à l’université, il se consacre à sa carrière musicale et intervient régulièrement dans la vie de la famille. On découvre que la famille Berglund, derrière un conformisme de façade, est en fait profondément dysfonctionnelle. Quand la normalité est une crise permanente.

Freedom est une saga familiale qui s’étend sur plusieurs décennies. Le récit n’est pas linéaire mais on revient sur l’histoire familiale de chacun des parents, en passant par leur rencontre, les différentes étapes de leur vie de couple et de famille. Le propos de Jonathan Franzen est double. D’une part il dépeint une histoire de l’Amérique contemporaine avec cette famille. Relations de couple, relations toxiques, amitié, sport de haut niveau, vie universitaire : nombreuses sont les facettes de la vie à l’américaine qui sont égratignées avec ce roman. Pourquoi le titre de Freedom ? Parce que Jonathan Franzen analyse cette liberté chère aux Etats-Unis et ce que les gens font avec. Et ce n’est guère brillant. Mais là où Jonathan Franzen tape fort c’est quand il décrit cette famille démocrate pendant les années Bush. Années où l’hypocrisie est à son comble : il est utile de devenir un Républicain de circonstance pour faire des affaires avec le gouvernement et les bonnes causes en apparence se révèlent au service de l’industrie pétrolière. Ce sont aussi les années où le gouvernement a matraqué ce terme de freedom sur toutes les ondes. Les frites ont même été renommées Freedom fries au lieu de French fries quand les Français ont refusé de suivre les Américains en Irak.

Décrit comme ça, Freedom peut donner l’impression de traiter d’un sujet aride mais le talent d’écrivain de Jonathan Franzen est indéniable. Cet auteur sait écrire des histoires et en plus il fait passer ses messages. Impossible de s’ennuyer à la lecture de Freedom car le narrateur alterne les points de vue. Le narrateur omniscient cède même sa place pendant une bonne partie du roman à un des personnages qui écrit son autobiographie sur les conseils de son thérapeute. On suit tantôt Patty tantôt Joey. Les personnages possèdent de multiples facettes, ils sont très humains dans leurs forces et leurs faiblesses. Et avouons-le, le voyeur en nous est satisfait de découvrir au fur et à mesure du roman les petits secrets des uns et des autres. Un très bon mélange de légèreté et de profondeur. Où plutôt une légèreté qui cache une grande profondeur. Freedom est le genre de livre dont on ferme la dernière page à regret.

Pour l’anecdote, Freedom est aussi le moyen pour Jonathan Franzen de partager sa passion pour l’ornithologie. Un des personnages principaux du roman, Walter Berglund, est en effet un ardent défenseur des oiseaux migrateurs. L’auteur en profite pour souligner les conséquences du mode de vie à l’Américaine avec son étalement urbain et ses grandes zones résidentielles où la végétation clairsemée ne protège plus les oiseaux et où les chats domestiques deviennent des prédateurs redoutables. J’avais déjà lu un reportage de Franzen dans la revue Feuilleton où il racontait son périple en Méditerranée pour fustiger les politiques européennes de gestion de la flore et les traditions de chasse locales qui portent gravement atteinte aux populations d’oiseaux. Et c’est aussi pourquoi on retrouve un oiseau sur la couverture de l’édition américaine de Freedom.

Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline

Que dire sur Voyage au bout de la nuit, ce classique de la littérature française et sur Louis-Ferdinand Céline, son auteur controversé ? Tout d’abord, j’ai une histoire personnelle avec ce livre. Il m’avait été chaudement recommandé il y a environ 15 ans par un bon ami. Je l’ai donc commencé pour finalement le laisser tomber au bout de quelques pages seulement. A l’époque je n’avais pas pu rentrer dans l’univers de l’auteur, sans doute freiné par cette langue si particulière qui a fait la marque de fabrique du Voyage.

En effet, le livre est écrit dans un style qui mélange d’une part le français parlé de l’époque, un langage très argotique, et d’autre part un style littéraire beaucoup plus classique qui fait la part belle aux imparfaits du subjonctif. Il y a d’abord une barrière de la langue pour qui veut entreprendre ce voyage au bout de la nuit.

Bardamu le narrateur raconte plusieurs épisodes de sa vie. Le premier d’entre eux est sa participation à la première guerre mondiale. Point d’héroïsme chez ce soldat, il n’a tout simplement pas envie de se faire tuer tout convaincu qu’il est de l’absurdité de cette guerre. Il est conscient de faire partie de ces hommes donnés en pâture par leur hiérarchie militaire au nom d’un nationalisme idiot. Par chance, il se blesse et poursuit sa convalescence à Paris. Convalescence qu’il prolonge autant qu’il peut, n’hésitant pas à recourir à des expédients pour tromper le corps médical. Il part ensuite en Afrique où il travaille pour une société coloniale. Le récit du voyage sur le bateau pour se rendre à destination résume à lui seul la philosophie du narrateur. Peu importe les principes : toutes les bassesses sont nécessaires quand la survie est en jeu. La mentalité coloniale de l’époque en prend pour son grade. L’expérience africaine de Bardamu tourne court. Après un échec professionnel dans une plantation au milieu d’une jungle hostile, il est vendu comme galérien transatlantique (si, si) mais parvient à s’échapper à New-York. Puis il rejoint Détroit où il travaille dans les usines Ford tout en s’amourachant d’une prostituée. De retour en France, il poursuit des études de médecine. Il s’établit ensuite en banlieue parisienne où il mène une vie de misère, exploité par des patients pingres et manipulateurs. Il abandonne sa vie de médecin pour aller à Toulouse où il rejoint un ami qui s’est retrouvé estropié alors qu’il tentait de commettre un assassinat. Il couche avec la fiancée de cet ami. Il finit par s’établir en région parisienne comme médecin dans un asile d’aliénés.

Voyage au bout de la nuit est une épopée dans les bas fonds de la vie humaine. Peu importe le lieu, le narrateur parcourt trois continents pour se heurter toujours à des représentants du genre humain qui le déçoivent. Résolument pessimiste, ce roman de Céline expose les instincts les plus vils de l’humanité. La vie est triste et l’Homme ne cherche pas à s’élever. Au contraire, il s’enfonce de plus en plus et il tire avec lui ses semblables. La liste des maux du genre humain est longue et Céline les aborde tous dans Voyage au bout de la nuit.

Il faut avoir le cœur bien accroché pour suivre Bardamu. Ce roman est percutant car il est vrai. La nuit est la métaphore de la vie et il faut être très chanceux pour se rendre au bout du voyage sans être devenu fou ou poignardé dans le dos par un congénère. Le progrès, l’amour, l’amitié n’existent pas. Céline offre une vision du monde très sombre livrée dans un style qui frappe l’imaginaire. C’est une lecture qui nécessite une maturité que je ne possédais manifestement pas il y a 15 ans.

Métronome, Lorànt Deutsch

Ayant toujours quelques métros de retard (ah ah !), je viens de terminer Métronome, un ouvrage écrit par l’acteur français Lorànt Deutsch qui, découverte pour moi, est un passionné d’Histoire. Ce livre a connu un gros succès il y a 2 ans et a depuis été proposé dans une version illustrée.

En résumé, l’auteur prend le prétexte de s’intéresser aux stations de métro parisiennes pour faire découvrir au lecteur l’Histoire de Paris et plus largement de l’Histoire de France. En effet, les destins de la France et de Paris sont depuis longtemps entremêlés. Tout commence avec les Gaulois qui ont été les premiers à s’établir sur les bords de la Seine. Mais il semblerait qu’ils se soient plutôt installés du côté de l’actuelle Nanterre que dans le centre de Paris. L’île de la Cité a commencé à jouer un rôle central sous l’Empire Romain. Rôle qui s’est poursuivi sous les Mérovingiens et les Carolingiens de manière différentes selon les rois : ainsi Noyon, Laon et Aix-la-Chapelle ont pu être préférées à Paris à certaines époques et au gré des souverains. Paris devient ensuite la véritable capitale du royaume français sous la férule des Capétiens. Ce rôle central se poursuivra sous la Révolution et les différentes Républiques jusqu’à nos jours.

L’Histoire de Paris est également indissociable du l’Histoire du Christianisme. Les cathédrales et églises constituent des témoignages durables de certains épisodes historiques. Mais il faut parfois se muer en enquêteur pour trouver des traces plus discrètes de l’Histoire. Ainsi Lorànt Deutsch convie le lecteur à découvrir les vestiges de l’Histoire parisienne. On le suit par exemple dans les rues de Paris à la recherche des vestiges du rempart construit à l’époque de Philippe-Auguste ou dans la cave d’un restaurant où se situerait le dernier cachot de la Bastille encore en état.

Métronome est aussi un hommage au peuple parisien qui a su à travers les âges survivre aux envahisseurs depuis le temps des invasions vikings et a fait montre d’un caractère bien trempé à travers les siècles. Les épisodes sanglants sont nombreux : guerres de religions, guerres d’influence entre différentes familles, rien n’a été épargné à Paris.
Si le livre est agréable à lire pour quelqu’un qui s’intéresse à l’Histoire, il devrait être encore plus intéressant pour quelqu’un qui connaît très bien Paris et qui situe les différents lieux mentionnés dans Métronome. Ma culture parisienne n’étant pas très approfondie, je me suis trouvé un peu bloqué quand certaines rues ou certains quartiers que je ne connais pas du tout sont cités. Malgré tout, la passion de Lorànt Deutsch est communicative dans ce livre qui se lit très bien.

Concernant la version illustrée que j’ai également eue entre les mains, elle est plus un complément de la version texte qu’un ouvrage indépendant. Je ne la recommande pas sans lecture préalable de la version originale de Métronome.

Traine pas trop sous la pluie, Richard Bohringer

Après Bernard Giraudeau et Cher amour, je m’intéresse aux écrits d’un autre acteur français : Richard Bohringer qui propose avec Traine pas trop sous la pluie un récit autofictionnel.

Hospitalisé, le narrateur vit un délire fiévreux qui l’amène à tenir des propos décousus et à halluciner. Se mêlent à ces hallucinations le personnel soignant, ses visiteurs et un mystérieux personnage nommé Grand Singe. Le narrateur aime cette fièvre qui le fait délirer et le renvoie à plusieurs voyages de son passé en Afrique et en Amérique du Sud. Il se remémore les rencontres faites lors de ces voyages avec des gens attachants mais aussi ses rencontres en France avec quelques grands noms du monde du spectacle : à commencer par Bernard Giraudeau mais aussi Roland Blanche, Mano Solo ou encore Jean Carmet et Jacques Villeret. Son hospitalisation est aussi l’occasion pour le personnage principal de revenir sur certains épisodes de son enfance et sur ses relations avec ses parents.

Porté par un texte riche en sincérité et en humanisme mais aussi marqué par la grande gueule du narrateur, Traîne pas trop sous la pluie correspond à l’image que je le faisais de Richard Bohringer le personnage public. Homme d’excès, abîmé par la vie, il possède une âme juste et un grand cœur. Ce court roman m’a toutefois demande un certain effort : j’ai dû accepter le style décousu de l’auteur pour mieux m’imprégner de la poésie du texte. C’est un renoncement nécessaire pour apprécier cette lecture mais qui pourrait refroidir les adeptes de textes plus linéaires.

L’art français de la guerre, Alexis Jenni

L’art français de la guerre est le premier roman d’Alexis Jenni et il est en lice pour plusieurs prix littéraires à l’heure où j’écris ces lignes : le Goncourt, le Renaudot, le Fémina et le Médicis. Ce n’est pas donné à tous les premiers romans de faire une telle unanimité. Gageons qu’un de ces prix sera décerné à Alexis Jenni. La raison de ce succès critique tient sans doute au thème du livre : Alexis Jenni a écrit un roman ambitieux sur l’identité française contemporaine. Un sujet on ne peut plus d’actualité alors que le gouvernement français s’est doté d’un ministère de l’identité nationale.

Alternant les petits boulots et les périodes de chômage, le narrateur fait un jour la rencontre d’un homme nommé Victorien Salagnon. Ce dernier va apprendre au narrateur l’art de la peinture. En échange le narrateur va raconter son histoire. Une histoire de guerres car Victorien Salagnon a été soldat pendant la Seconde Guerre Mondiale, en Indochine et en Algérie. L’histoire de ce personnage se superpose avec celle de la France à tel point qu’elle en a valeur de symbole. C’est une véritable fresque historique et sociale que propose Alexis Jenni avec L’art français de la guerre.

Il est donc question des 20 ans de guerre de la France. Ne cherchez pas cette référence dans les livres d’Histoire car elle en est absente. La seconde guerre mondiale est admise comme une guerre mais le contexte de la décolonisation n’a que tardivement permis de désigner les événements en Indochine et en Algérie comme des guerres à proprement parler. En alternant le récit de la vie de Victorien Salagnon et le présent vécu par le narrateur, l’auteur fait se répondre ces deux périodes de l’Histoire française. En effet être Français en 1943 est totalement différent d’être Français en 2011. Victorien Salagnon est lui-même passé de résistant à bourreau en l’espace de quelques années. Tout comme la France, il a perdu une certaine humanité en Indochine et en Algérie.

Alexis Jenni est talentueux dans le sens où il utilise un mécanisme classique du romancier : il revient sur le passé pour mieux définir et en l’occurrence critiquer le présent. Ce roman prend carrément des airs d’essai et de récit argumentatif. Critique du colonialisme hypocrite (refusons aux indigènes la liberté que nous avons défendue et reconquise contre l’envahisseur allemand), Alexis Jenni pourfend les réflexes de repli de l’extrême droite et dénonce la militarisation du corps policier et les contrôles d’identité au faciès, étincelles à l’origine de confrontations et d’émeutes. L’auteur règle aussi quelques comptes : il attaque De Gaulle et l’image que celui-ci s’est façonnée en romançant ses succès comme l’a fait Jules César avec la Guerre des Gaules. Alexis Jenni se montre aussi très critique de la vision cinématographique que le FLN a produite de la guerre d’Algérie. Avec ce premier roman, c’est un regard sans concession que pose Alexis Jenni sur l’identité française et l’Histoire récente de la France. Nous vivons encore aujourd’hui avec les conséquences de la guerre de l’Algérie et la déracinement des Pieds Noirs. Ces événements ont façonné l’imaginaire collectif français contemporain.

Alexis Jenni ne parvient toutefois pas à définir ce qu’est être Français de manière précise. Il propose quelques pistes : la langue comme chose commune et la volonté à vouloir vivre ensemble. Deux éléments particulièrement secoués par les temps qui courent. La réflexion amenée par ce roman apparaît nécessaire et elle est fort bien menée.

Une page se tourne

Vous me pardonnerez une métaphore boiteuse pour me rattacher au thème de ce blogue mais une page se tourne. Ce blogue va connaitre une pause en raison de mon déménagement en France. Je tourne en effet une page après 8 ans passés à Montréal. Je vais donc consacrer pas mal de temps à cette nouvelle installation en sol français.

Côté lecture, ça devrait être maigre, faute de temps. De toute façon depuis plusieurs semaines, je suis focalisé sur Infinite Jest de David Foster Wallace. Il s’agit d’une lecture assez exigeante et je serai super satisfait si je passe au travers avant la fin de l’été. Ne vous attendez donc pas pas à beaucoup d’activité sur ce blogue au cours des prochaines semaines.

Remarquez, quel que soit mon rythme de production de billets, il y a toujours une baisse de la fréquentation du blogue en été. Ça commence à baisser en juin pour reprendre en septembre avec la fameuse rentrée littéraire (prédiction gratuite en passant : cette année aussi il y aura beaucoup trop de livres publiés à la rentrée littéraire, ne soyez pas surpris). Et je constate que l’été a commencé avec le regain de popularité de ce billet. Disons que la littérature prend une pause estivale !

En guise de conclusion et pour filer ma métaphore initiale, tourner la page ne signifie pas qu’on referme le livre. Malgré mon départ du Québec, je continue bien sûr à m’intéresser à la littérature québécoise. Ne serait-ce qu’avec ma participation à la Recrue du Mois qui devrait reprendre après l’été.

La trajectoire, Stéphane Libertad

Comme l’auteur de ce livre, je suis un Français qui a immigré au Québec. J’étais donc curieux de lire l’histoire du personnage principal du roman, vraisemblablement autofictionnel, qui passe par de nombreux hauts et bas dans son cheminement.

Le narrateur de ce roman vit un triple choc. Il est père depuis peu, l’ombre de la quarantaine se fait menaçante et il vit un déracinement.
Le rôle de père lui est un peu tombé dessus sans véritable préparation. Son propre père ayant rapidement abandonné sa famille, il ne possède pas de référentiel sur lequel bâtir quelque chose. Ce moment est rendu d’autant plus difficile que le nouveau né connaît des problèmes de santé sérieux. Écrivain de métier, le narrateur vit de petits boulots précaires qui ne le satisfont pas. Dur de s’accomplir dans un centre de télémarketing. Il quitte la France pour s’installer au Québec avec sa femme. Bien que celle-ci soit québécoise, les 10 ans passés en France et l’accent qu’elle a pris la distinguent de ses compatriotes. Pour elle, le retour au Québec est rude. Pour le personnage principal, il faut se faire à ce nouveau pays, à sa culture et surtout à son hiver.

J’ai aimé lire ce parcours d’immigrant. Stéphane Libertad au travers de son personnage principal possède un franc-parler qui détonne du politiquement correct (par exemple, quand son fils de 3 ans l’emmerde, il l’écrit). Un tantinet caricatural par moments, ce Français qui immigre au Québec est amateur de bons vins (parfois à l’excès), il aime la bonne bouffe et il est râleur. Mais il met aussi le doigt sur les travers des Québécois.

La trajectoire est un ouvrage plus riche qu’il ne paraît. Plus qu’un parcours individuel, c’est une chronique sociale de la précarité, de l’immigration et de la paternité moderne. Et si tout n’est pas facile pour lui, le narrateur finira tout de même par trouver une certaine paix avec lui-même.

Je vous invite à aller lire l’avis de Venise sur la trajectoire. Et si vous recherchez un autre roman ayant pour thème l’immigration au Québec, je vous renvoie à La bar-mitsvah de Samuel.