Universel Coiffure, Caroline Allard

Après avoir signé deux tomes des Chroniques d’une mère indigne inspirés de sa vie de mère (tome 1 et tome 2), Caroline Allard se lance dans la fiction. Universel Coiffure est le nom d’un salon de coiffure dans le paisible village de Saint-Lin-Laurentides. Ce calme est rompu un beau jour par l’assassinat de Claudine, la propriétaire du salon, par deux hommes chauves vêtus d’un costume sombre. Sylvie, la stagiaire du salon, est ensuite enlevée par ces deux hommes mystérieux.

Universel Coiffure, Caroline Allard

Je n’en dirai pas plus pour ne pas dévoiler les rebondissements de ce roman qui tient à la fois du policier, de la science-fiction et de la critique de la société québécoise. Sachez tout de même que le cœur du roman est la question philosophique suivante : avoir une belle coiffure est-il un droit fondamental ? Évidemment on sait bien que ressortir de chez le coiffeur avec une belle coupe renforce l’estime de soi. À l’inverse, une coupe ratée et c’est la déprime ! Vous l’aurez compris, Caroline Allard conserve l’humour et le ton qui lui ont permis de rejoindre de nombreux lecteurs avec ses livres précédents. Ajoutez un soupçon de mystère et vous avez entre les mains un roman qui se dévore.

En plus de savoir manier un récit haletant, Caroline Allard est une excellente observatrice de la vie québécoise. Je retiens deux moments particulièrement savoureux. Le premier est traitement médiatique de toute l’affaire de l’enlèvement de l’employée du salon de coiffure. Une fois relâchée, cette otage se fait proposer des entrevues par tout ce que le Québec compte de média. Caroline Allard décortique l’angle choisi par chaque publication. La Presse, Le Devoir, La Semaine, Elle Québec et même Summum… sans oublier un Jean-Luc Mongrain grandiose dans son personnage d’indigné et de défenseur du gros bon sens. Le deuxième moment que j’ai apprécié est la commission d’enquête Bouchard-Taylor qui cherche à déterminer s’il convient de considérer une belle coiffure comme un droit fondamental. Petit rappel, la commission Bouchard-Taylor, la vraie, avait du démêler ce qui constituait un accommodement raisonnable au sein de la société québécoise. Une commission qui s’est vite transformée en grand n’importe quoi pour le plus grand bonheur des médias. Dans Universel Coiffure, la commission tombe elle aussi rapidement dans le n’importe quoi, cette fois-ci pour le plus grand bonheur du lecteur.

En dépit des côtés solides d’Universel Coiffure, j’ai trouvé que le roman peinait à trouver sa conclusion. J’ai commencé à décrocher avec le voyage éclair en Afrique de Sylvie, la protagoniste principale. Cela m’a paru hors sujet. A partir de là, les conclusions se sont multipliées, comme si Caroline Allard n’avait pas véritablement choisi de clore le roman sans conclure et reconclure sur tous les aspects du récit. Malgré cela, pas de quoi se priver d’un bon moment de lecture. Surtout que vous sera révélé le secret de la coiffure de Céline (oui, oui, LA Céline).

J’ai lu Universel Coiffure dans le cadre de la Recrue du Mois.

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Les corpuscules de Krause, Sandra Gordon

Notre dernière recrue de l’année 2010 est Sandra Gordon avec son premier roman, les corpuscules de Krause. Je vous invite à aller consulter le numéro de décembre que tous les collaborateurs de la recrue du mois ont contribué à bâtir pour vous offrir une couverture toujours plus large des premières œuvres littéraires made in Québec.

Lucie, 24 ans, fuit Montréal et un amant qui abuse d’elle. Une panne de voiture la force à s’arrêter dans un village des Laurentides. Village où elle va s’installer plus durablement que prévu et faire la connaissance de ses habitants tout en essayant de se rebâtir une santé.

C’est devenu une tendance depuis plusieurs mois : les éditeurs québécois vont puiser de nouveaux auteurs chez les blogueurs. Parmi ceux qu’on a lu récemment à La Recrue du Mois, on pensera à Daniel Rondeau et Patrick Dion. Mais aussi Caroline Allard (prise 1 et prise 2) et Pierre-Léon Lalonde. Sandra Gordon, notre recrue, tient elle aussi un blogue. Et on comprend la décision d’un éditeur (Leméac en l’occurrence) d’avoir parié sur elle en publiant Les corpuscules de Krause.

Si je dois retenir une chose de ma lecture, c’est l’écriture de Sandra Gordon : proche du langage parlé, elle est percutante. Tout ce qu’il faut pour capter et garder l’attention du lecteur. Il y a une volonté chez elle de dire les choses directement, particulièrement avec des thèmes comme le sexe, la violence et les confrontations musclées entre plusieurs personnages. Autant dire que si vous n’êtes pas à l’aise avec le fait qu’on vous colle les yeux sur des choses dérangeantes, ce roman n’est pas fait pour vous.

La trame du roman passe elle au second plan derrière ce style détonant. À tel point que j’ai trouvé le récit confus par moment. Il faut parfois lire entre les lignes pour garder le fil. Cette impression de confusion vient du fait que Sandra Gordon ne révèle certains aspects du roman que par bribes. À la fin du roman, ces fragments mis bout à bout donnent une certaine cohérence à l’ensemble, encore que plusieurs aspects demeurent nébuleux : la raison du départ de Benne et ce meurtre qui sort un peu de nulle part.

Le personnage principal est attachant. On sent chez Lucie une détresse qui fait mal. Amochée par la vie, on lui souhaite de se rebâtir une santé et un ego pour repartir de plus belle. Mais ce sera très difficile étant donné les drôles d’oiseaux qui lui tournent autour. La gente masculine en prend pour son grade dans ce roman. Entre un obsédé sexuel, un profiteur, un handicapé des émotions, un malade mental et un alcoolique compulsif et meurtrier, le salut de Lucie ne passera pas par les hommes.

Dernier point : j’ai trouvé génial le fait que ose Sandra Gordon fasse un gros clin d’œil au lecteur dans son livre. Elle y fait en effet un caméo pour le moins original. Je n’en dis pas plus, je vous laisse la surprise.

Publié chez Leméac.

J’écris parce que je chante mal, Daniel Rondeau

La Recrue du mois de mai est Daniel Rondeau avec son premier ouvrage de fiction : J’écris parce que je chante mal.

Daniel Rondeau tient un blogue lui aussi intitulé J’écris parce que je chante mal. Il a suivi l’itinéraire tracé par les blogueurs québécois Caroline Allard alias Mère Indigne (tome 1 et tome 2) et Pierre-Léon Lalonde (Un taxi la nuit) qui ont vu leurs écrits publiés par la maison d’édition Septentrion. Et à la lecture de J’écris parce que je chante mal, il faut reconnaître que Septentrion a un certain talent pour dénicher les blogueurs talentueux.

Dans ce livre format de poche (très pratique dans les transports, je l’ai testé pour vous), se trouvent des dizaines d’histoires courtes. On ne peut pas vraiment parler d’un recueil de nouvelles car certains de ces textes sont très courts, moins d’une page. Aucun lien entre les histoire si ce n’est qu’il s’agit d’instantanés dans la vie d’individus ou de réflexions sur des trajectoires personnelles. C’est un peu déstabilisant comme style car au début je ne savais pas du tout à quoi m’attendre (je ne connaissais pas le blogue de Daniel Rondeau) et je cherchais en vain une continuité d’un texte à l’autre.

Si vous aussi vous imaginez régulièrement ce que peut être la vie de ces anonymes que vous croisez dans la rue, dans le bus ou dans le métro, et bien Daniel Rondeau lui le fait et l’écrit. Avec J’écris parce que je chante mal, Daniel Rondeau porte un regard intéressant sur le quotidien, l’amour, le couple, la paternité. Bref sur la vie. Nous avons là affaire à un auteur possédant une finesse indéniable dans son écriture. Son penchant pour le minimalisme ne l’empêche pas de parvenir à entraîner le lecteur en quelques mots seulement dans un univers bien précis. Ajouté à une bonne dose d’humour mâtiné d’une maturité certaine, c’est le signe que Daniel Rondeau maîtrise son art.

C’est un plaisir de lire et savourer ses textes. Maintenant, j’aimerais voir ce que Daniel Rondeau produirait sur un format plus long.

Les chroniques d’une mère indigne 2, Caroline Allard

Elle récidive. On reprend les ingrédients du premier livre et c’est reparti. Mère Indigne est toujours très en forme malgré une vie familiale trépidante qui la conduit à descendre des gin tonic plus que de raison.

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Vous retrouverez donc avec plaisir peu ou prou la même galerie de personnages, à commencer par les 2 filles de Mère Indigne : Fille aînée et Bébé. Ce livre, comme le précédent, est une mine d’anti conseils pour les parents. Entre anecdotes cocasses et situations comiques, ce sont de véritables leçons de lâcher prise pour les parents qui sont données. Un petit guide parental fort utile.

Ce tome 2 des chroniques d’une mère indigne est toujours très drôle à lire, l’effet de surprise en moins. Pour le premier tome, ça faisait peu de temps que j’avais découvert le blogue de Mère Indigne. Tout était donc nouveau pour moi. Mais ce n’est plus le cas maintenant car j’avais déjà lu une bonne partie des textes sur le blogue. À noter que le ton du livre m’a paru un peu lassant par moment car j’ai enchaîné les chroniques les unes après les autres. Je ne suis pas sûr de me jeter sur le tome 3 si tome 3 il y a.

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Waiter Rant, Steve Dublanica

L’histoire de Waiter Rant a commencé sur internet. Il y a 4 ans, un serveur avec du temps libre et un certain talent pour l’écriture a lancé un blogue pour livrer des récits et des anecdotes sur son milieu de travail. Et il s’en passe des choses dans un restaurant ! De fil en aiguille, l’audience de son blogue a crû. Ce qui devait arriver arriva : un agent littéraire s’est proposé pour le représenter auprès des maisons d’édition. C’est ainsi qu’a vu le jour il y a quelques mois Waiter Rant, le livre. Une trajectoire qui n’est pas sans rappeler celle de Pierre-Léon Lalonde et Caroline Allard, deux blogueurs québécois qui ont vu leurs écrits virtuels se matérialiser sur le papier.

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Steve Dublanica raconte comment il est devenu serveur sur le tard, à l’âge de 31 ans. Après avoir été tenté par la prêtrise et avoir travaillé dans le domaine médical, il a encaissé plusieurs coups durs personnels et professionnels qui l’ont conduit vers la dépression. Son frère, alors lui-même serveur, lui a proposé de se joindre au monde de la restauration en attendant qu’il retombe sur ses pattes. Sept ans plus tard, Steve Dublanica est toujours serveur et travaille dans un restaurant qu’il nomme The Bistro. C’est la toile de fond de ses chroniques. Il nous fait vivre son quotidien fait de clients emmerdants qui se prennent pour les rois du monde, des relations tendues entre les serveurs et le personnel en cuisine, avec un propriétaire de resto hyper parano et control freak. Sans parler du manager qui rackette ses serveurs et des employés tire au flanc et drogués.
S’il est un sujet que Steve Dublanica affectionne particulièrement c’est la question des pourboires et des clients qui n’en donnent pas. Pour mes lecteurs européens, il est bon de préciser qu’en Amérique du Nord, les serveurs ont un salaire inférieur au salaire minimum. Cela est possible car on considère que les pourboires donnés par les clients constituent pour eux un complément de revenu confortable. Or avec le temps, le pourboire est devenu leur source principale de revenu. Donc un client qui ne donne pas de tip porte un préjudice financier au serveur. C’est comme s’il travaillait pour rien. En tant que client, vous saurez que la norme pour le pourboire est entre 15 et 20 % du montant qui vous est facturé.

Waiter Rant est sous titré les confessions d’un serveur cynique. Plutôt que cynique, je trouve que Steve Dublanica est un bon observateur du genre humain et qu’il est doué d’une plume efficace pour partager ses coups de gueule et ses coups de coeur. C’est aussi une personne très lucide, consciente de ses défauts. Avec ce livre, il nous en apprend presque plus sur lui que sur le monde de la restauration. Au-delà de leur trajectoire littéraire commune, je suis tenté de dresser un parallèle avec Pierre-Léon Lalonde, le chauffeur de taxi le plus connu de Montréal. Tous deux ont une vie majoritairement nocturne. De par leurs métiers, ils croisent plus de gens en une soirée que vous et moi en une semaine. Et surtout ils connaissent bien leurs semblables, dans leurs mauvais côtés comme dans leurs bons. Ce sont de bons observateurs du genre humain qui ont un talent certain pour emmener le lecteur dans leur quotidien.

Aujourd’hui, Steve Dublanica ne travaille plus comme serveur. Il s’est lancé dans une carrière d’écrivain suite au succès du présent livre qui s’est trouvé rapidement dans la liste des best sellers du New-York Times et qui lui a valu un passage dans la populaire émission de télé d’Oprah Winfrey. Un beau parcours qui devrait désormais lui permettre de fréquenter les bons restaurants comme client cette fois-ci. Espérons qu’il n’oublie pas de laisser un bon pourboire !

5 étoiles

Actualité littéraire du Québec

Quelques brèves du monde littéraire québécois :

– Caroline Allard vient de remporter le prix Archambault pour ses chroniques d’une mère indigne grâce à un soutien phénoménal du public. Elle vient d’ailleurs de promettre un deuxième tome à ses chroniques.

– La bande dessinée se porte de mieux en mieux au Québec comme en témoignent les succès commerciaux du duo Delaf-Dubuc (les Nombrils), de Michel Rabagliati (Paul) et de Régis Loisel et Jean-Louis Tripp. C’est encourageant et ne reste plus qu’à ces auteurs (et aux autres) de pouvoir vivre de leur art.

Les chroniques d’une mère indigne, Caroline Allard

Avant de devenir auteur d’un livre, Mère Indigne a longtemps sévi sur internet. Comme le taxi Pierre-Léon, cette mère de famille québécoise a été contactée par une maison d’édition pour publier un livre sur la base de son blogue.

A une époque où les magazines spécialisés et les forums internet fourmillent de conseils pour les mères de familles, il n’y a plus de place pour l’imperfection. Impossible d’être une mère indigne avec le tsunami de conseils que reçoivent les parents. « Que nenni ! » de répondre Mère Indigne. L’indignité est le remède idéal au burn out qui attend irrémédiablement les parents qui s’efforcent d’être parfaits. Elle illustre son propos à l’aide de son quotidien de mère de deux enfants alias Fille Ainée et Bébé. Elle ne se gêne pas pour se moquer de sa progéniture et tourner en ridicule leurs petites manies agaçantes. Elle possède également une bonne dose d’auto-dérision, salvatrice pour éviter le surmenage et la dépression nerveuse. Elle est secondée par Père Indigne, Belge de son état, pour qui la déconne n’est pas un vain mot. Mère Indigne n’hésite pas non plus à se dévoiler et à mettre un peu de piquant avec des anecdotes sur la vie sexuelle des jeunes parents.

Comme pour Un taxi la nuit, j’ai été conquis par Mère Indigne (qui s’appelle en fait Caroline Allard). On a affaire à tout une galerie de personnages : sa famille, la fille des voisins, petite peste devant l’éternel et Jean-Louis l’ami de son mari. Ce livre est un antidote certain à la pression que peuvent se mettre les jeunes parents. On y voit notamment la différence d’attitude d’une mère entre son premier enfant, ô combien fragile, et le deuxième qui peut bien faire ses dents sur les vieilles sandales qui traînent dans l’entrée. La lecture des Chroniques d’un mère indigne saura provoquer les sourires du lecteur, voire des fous rires qui pourront étonner les autres voyageurs du métro (c’est du vécu). Voilà un livre très rafraîchissant.

Ma note : 5/5.

Mère Indigne a arrêté de publier sur son blogue mais l’intégralité de ses textes est toujours en ligne.

Et voilà le descriptif de son livre.