Mémoires d’un perfectionniste, Jonny Wilkinson

Sauf erreur, je n’ai jamais évoqué ici ma passion pour le rugby. J’ai pratiqué ce sport pendant 15 ans et je garde un œil attentif sur le Top 14 et l’actualité du XV de France. Dans l’univers du rugby, il est un fait que peu contesteront : les Français n’aiment pas les joueurs anglais. La rivalité entre les deux Nations est longue et savamment entretenue par la presse des deux pays. Personne ne manquerait le « crunch », l’affrontement entre la France et l’Angleterre lors du tournoi des 6 Nations. C’est le match à ne pas perdre pour les deux équipes. Pourtant, dans ce contexte, il y a un joueur anglais que le public français aime sincèrement, c’est Jonny Wilkinson (sans h à Jonny). Plusieurs raisons à ça. La première est qu’il est un joueur de grande qualité, un des meilleurs demis d’ouverture de l’histoire du rugby. La deuxième est que Jonny Wilkinson est venu jouer en France, au RC Toulon pour être plus précis, et qu’il a terminé sa belle carrière dans le championnat français. J’ai souhaité lire son autobiographie car c’est un joueur qui m’a longtemps fasciné pour sa régularité face aux poteaux. C’est un des premiers buteurs de l’ère professionnelle à avoir été d’une régularité exemplaire.

Mémoires d'un perfectionniste, Jonny Wilkinson

Ces mémoires d’un perfectionniste portent très bien leur nom. Je savais Jonny Wilkinson particulièrement attaché à la performance mais je ne pensais pas que cela allait jusqu’à le rendre malade les veilles de match. Au point de rêver d’un bond en avant de quelques heures pour ne pas avoir à vivre le match. J’ai découvert une personne véritablement angoissée, ce que je ne soupçonnais pas en le voyant jouer tant le calme était sa marque de fabrique. A la lecture de son autobiographie, j’ai aussi appris son attachement très fort à son club de Newcastle puis à Toulon. Ce côté humain et chaleureux m’a agréablement surpris chez une personne à l’apparence médiatique froide. Comme quoi la personne et l’image qu’en donnent les médias n’est pas la même. Et d’ailleurs Jonny Wilkinson s’épanche à plusieurs reprises sur ses relations difficiles avec les médias. Porté aux nues comme le sauveur d’un pays après sa prestation géniale lors de la Coupe du Monde 2003 (ce drop à la dernière minute de la prolongation de la finale contre l’Australie, qui plus est sur son « mauvais » pied !), il a été par la suite vouées aux gémonies quand ses prestations ne suffisaient pas toujours faire gagner l’Angleterre. Ses blessures à répétitions ont aussi ralenti son activité et miné son moral de gagnant. En ce sens, le récit des hauts et des bas qu’il connaît est passionnant à suivre car présenté du point de vue d’un joueur d’exception.

En revanche, et ce n’est pas une surprise, cette autobiographie n’apportera pas grand chose à celui ou celle qui ne s’intéresse pas au rugby. Le travail éditorial a pour moi été bâclé. Après tout, le livre allait se vendre quelle que soit sa qualité. Pas de surprise avec une construction classiquement chronologique. Les anecdotes s’enchaînent parfois sans lien entre elles. Elles ont du ravir les journalistes au moment de la sortie du livre car faciles à sortir du contexte. Mais dans le récit, elles n’apportent pas beaucoup de matière. Une fois qu’on a compris le caractère obsessionnel de Jonny Wilkinson, il n’y a pas de surprise. J’ai eu un peu d’espoir à un moment donné quand il évoque le travail sur sa spiritualité mais ça retombe rapidement. Dans cette autobiographie, tout le monde est formidable avec Jonny Wilkinson : son préparateur physique, son coach pour buter, ses coéquipiers de Newcastle, de l’équipe d’Angleterre, de Toulon… Il est de bon ton de rendre des hommages dans une autobiographie mais là, c’est un peu trop pour moi. En tout cas pas contrebalancé avec des engueulades avec d’autres personnes. Certains désaccords sont évoqués mais de manière très subtile. C’est sans doute la classe anglaise et le côté gentleman de Jonny Wilkison mais ça donne un ton un peu trop « tout le monde est beau, tout le monde est gentil » au texte. Reste le récit d’un homme réellement attachant, monument du rugby moderne qui a participé à 3 Coupes du monde et qui a fait partie de la seule équipe de l’hémisphère nord à avoir remporté le trophée William Webb Ellis.

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Un roman français, Frédéric Beigbeder

Frédéric Beigbeder est un écrivain qui ne laisse pas indifférent. Je l’avais aimé avec 99F mais il m’avait agacé avec Au secours pardon. Un roman français lui a valu le prix Renaudot en 2009. Et c’est totalement mérité selon moi. J’ai en effet trouvé ce livre brillant.

L’événement qui a déclenché l’écriture de ce roman est l’arrestation de Frédéric Beigbeder par la police. Il faut dire qu’il n’a pas été très malin (et il l’admet lui-même) de consommer de la cocaïne en pleine rue à Paris, sur le capot d’une voiture, au cours d’une soirée riche en abus. Cette arrestation s’est suivi par une garde à vue qui l’a fait réfléchir sur lui-même.

Dans ce roman autobiographique, il fait un point sur sa vie alors que de son propre aveu son adolescence vient de se terminer l’âge de 42 ans. Sa détention dans une cellule est un prétexte pour revenir sur son enfance. Une enfance dont il affirme n’avoir aucun souvenir mis à part une promenade sur une plage du Pays Basque en compagnie de son grand-père. Mais de fil en aiguille, les souvenirs refont surface, ce qui permet à Frédéric Beigbeder de dresser le portrait de son enfance et de sa famille.

Autofiction, autobiographie… le genre est connu et l’histoire familiale de Frédéric Beigbeder n’a pas de quoi soulever les foules. Mais là où le roman devient véritablement intéressant, c’est qu’il s’agit d’un portrait sans concessions. Frédéric Beigbeder parvient adroitement à dresser un parallèle entre sa famille et l’histoire de la France au 20e siècle. En résumé, la bourgeoisie de province et l’aristocratie française divorcent non sans enfanter une progéniture individualiste et hédoniste. Alors que les codes balisaient la vie des gens, la perte de repères des individus est aujourd’hui flagrante.

Frédéric Beigbeder l’auteur est en rupture avec ce que j’ai pu lire de lui. Loin des narrateurs grande gueule de 99F et Au secours pardon, il fait le récit de sa vie sur un ton sincère et il se dégage du texte une tendresse envers sa famille (sa fille en particulier) ainsi qu’une belle sensibilité sur les choses qui entourent le narrateur. L’humour présent tout au long du roman évite de tomber dans le pathos familial alors que les mélodrames sont nombreux dans la famille. Le roman est agréable à lire, l’alternance entre le passé et le présent rend le récit dynamique. Si défaut il y a dans ce roman, c’est l’abus de références littéraires et populaires, d’ailleurs souvent mélangées. Sans doute un rappel qu’on n’est jamais que prisonnier de son expérience.

Dans un roman français, Frédéric Beigbeder se fait aussi polémiste et dénonce la garde à vue française et l’arbitraire qui vient avec (la garde à vue a d’ailleurs récemment été déclarée comme non conforme au droit européen). Le fait d’être une personnalité publique a valu à Frédéric Beigbeder un traitement particulier. Le contraire d’un traitement de faveur en fait : il est resté plus longtemps en prison car le procureur en charge de son dossier a décidé qu’il devait en être ainsi. Ce fut donc une expérience à la fois traumatisante et éclairante.

Ce livre est le roman de la maturité de Frédéric Beigbeder et cette maturité lui va bien.

Ni d’Ève ni d’Adam, Amélie Nothomb

Dans son dernier roman, Amélie Nothomb nous raconte sa vie au Japon à la même période que Stupeur et tremblements. Surprise pour le lecteur : elle n’a pas passé la totalité de son séjour à se faire hurler dessus par ses supérieurs et à jouer la dame pipi dans son entreprise. En fait, elle a été étudiante au Japon pendant un an avant de faire son stage traumatisant.

Eve Adam

Comme pour les autres livres d’Amélie Nothomb que j’ai lus, il est difficile de résumer Ni d’Ève ni d’Adam sans livrer plusieurs passages du livre.
Alors étudiante au Japon, Amélie passe une petite annonce dans un supermarché pour donner des cours de français. Un jeune Japonais nommé Rinri répond à l’annonce car désireux d’améliorer sa maîtrise de la langue de Molière. Les premiers échanges sont très drôles car Rinri ne parle pas français du tout. Il possède quelques rudiments mais il est au départ loin de soutenir une conversation. Amélie fait donc connaissance avec ce Tokyoïte iconoclaste pour qui les traditions séculaires de son pays sont souvent gênantes. Amélie est de son côté une occidentale nippophile. Ils vont petit à petit faire connaissance et se rapprocher.

Avec Ni d’Ève ni d’Adam, on passe au travers de thèmes comme le couple, la vie amoureuse, la nourriture japonaise et occidentale, la montagne (une grande passion pour la narratrice) et la famille japonaise. J’aime beaucoup le style bien à elle qu’emploie Amélie Nothomb pour nous emmener dans toute une série d’anecdotes. Elle a un regard particulier sur le quotidien qui fait que la moindre anecdote devient une véritable aventure. Elle emploie beaucoup l’humour et une certaine ironie pour relater certains épisodes de sa vie. C’est peut-être une façon de se cacher, de mettre une distance. En fait Amélie Nothomb nous dévoile des pans importants de sa vie, mais elle fait preuve en même temps d’une grande pudeur, elle ne se livre pas tout à fait.

J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce livre. Décidément j’aime bien les livres d’Amélie Nothomb. Mais j’aimerais varier ce que je lis d’elle. Les trois livres que j’ai lus étaient autobiographiques et se passaient au Japon. C’est plaisant mais je crois qu’elle a écrit d’autres livres intéressants. Et comme de mon côté je ne veux pas me lasser, je vais abandonner Amélie Nothomb pour au moins quelques mois. Histoire de me refaire une virginité.

Ma note : 4/5

Du même auteur, voir aussi Stupeur et tremblements et Métaphysique des tubes.

Métaphysique des tubes, Amélie Nothomb

Je poursuis ma découverte d’Amélie Nothomb entamée avec Stupeur et tremblements. J’ai un peu plus apprécié Métaphysique des tubes, sans doute parce que le ton y est un peu plus léger. Le récit se déroule aussi au Japon et est également autobiographique. Sauf qu’il s’agit cette fois du premier séjour d’Amélie au Japon. L’archipel nippon est en fait l’endroit qui a vu naître Amélie alors que son père était un diplomate en poste pour la Belgique. Dans Métaphysique des tubes, elle raconte sa vie de petite fille, de bébé même, de sa naissance à ses trois ans.

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Le bébé Amélie n’est pas un être très actif. Elle se résume elle-même comme un tube (d’où le titre du roman), son corps n’assurant que les fonctions digestives. Elle reste de long mois inactives, apparemment en retard sur le développement normal d’un nourrisson. Mais elle vient à la vie grâce à sa grand-mère qui lui fait goûter un morceau de chocolat belge. Savoureux, non ? Le récit se poursuit et compte de nombreuses anecdotes sur sa petite enfance. Elle se décrit comme une petite princesse à qui tout le monde doit le respect, à commencer par ses parents mais aussi sa soeur et son frère avec qui les relations ne sont pas faciles. Ce narcissisme est entretenu par la domestique japonaise qui travaille chez les Nothomb et qui est aux petits soins pour Amélie. On sent la tendresse particulière de l’auteur envers son père qui tout Belge qu’il était n’a pas eu peur de se mouiller et de se lancer avec intérêt dans le théâtre traditionnel japonais, le Nô. Une forme d’art qui se résume apparemment à des borborygmes pour le néophyte. On retrouve ce même père qui tombe dans un trou d’égout (un trou d’homme comme on dit au Québec, traduction littérale du manhole anglais) alors qu’il se promène avec sa cadette par un jour de pluie. Métaphysique des tubes compte aussi quelques moments tragiques mais racontés comme s’il s’agissait d’épisodes anodins. Amélie a failli mourir deux fois : une fois lors d’une baignade dans la Mer du Japon et l’autre fois lors d’un événement qui nous est présenté comme une tentative de suicide alors qu’elle nourrissait ses trois carpes. Amélie a horreur des carpes, c’est quasiment une phobie. D’ailleurs, j’ai trouvé intéressant son point de vue sur les répulsions des gens :

Il m’arrive de penser que note unique spécificité individuelle réside en ceci : dis-moi ce qui te dégoûte et je te dirai qui tu es. Nos personnalités sont nulles, nos inclinations plus banales les unes que les autres. Seules nos répulsions parlent vraiment de nous.

En résumé, j’ai trouvé Métaphysique des tubes très agréable à lire. J’ai beaucoup aimé le regard incroyable que la très jeune narratrice pose sur le monde des adultes. En tant que lecteur, on n’est pas dupe, on sait que c’est romancé. Mais c’est très bien fait et on aime ça. On se laisse raconter une belle histoire.

J’aime de plus en plus le style d’Amélie Nothomb, fait de phrases courtes, finement ourlées. Le ton est parfois un peu précieux mais la qualité de la langue est fantastique. J’ai appris deux mots lors de la lecture de ce livre. Le premier est zinzolin et désigne une couleur. Il s’agit d’un rouge violacé, qui tire sur le pourpre. Ainsi le ciel japonais aurait la caractéristique d’être zinzolin au crépuscule. Le deuxième mot est anadyomène. Cet adjectif est d’origine grecque et signifie qui sort de l’eau, qui émerge. Comme le père d’Amélie Nothomb lorsqu’il remonte trempé de son trou d’égout.

Ma note : 4/5

Stupeur et tremblements, Amélie Nothomb

Après des années à avoir entendu parler du phénomène Amélie Nothomb, je me suis résolu à me faire ma propre opinion en lisant un de ses romans. Le premier sur lequel je suis tombé à la librairie fut donc Stupeur et tremblements avec sa couverture toute bizarre : une Amélie Nothomb et maquillée à la façon d’une geisha, visage figé et yeux écarquillés.

 

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De quoi ça parle donc ? D’une jeune fille de 22 ans qui fait un stage dans une grande entreprise japonaise. Ladite jeune fille est européenne et va vivre un véritable choc avec la culture d’entreprise japonaise. La narratrice va apprendre ces différences sur le tas et à la dure, auprès de collègues et supérieurs sans pitié. Bien que nippophile, elle va se heurter à une culture et un système de valeur où la hiérarchie est clairement établie, où les initiatives personnelles ne sont pas les bienvenues, où l’individu n’a pas son mot à dire et où on ne vire pas les gens, on les pousse à la démission. Cela va même aller très loin : on lui fait admettre publiquement qu’elle est trop stupide pour travailler correctement et on lui confie la tâche très ingrate d’assurer l’entretien des toilettes de l’entreprise. Une situation qu’on n’hésiterait pas à qualifier de harcèlement moral.
A noter que le récit est fortement autobiographique. Elle ne le dit pas directement mais la narratrice s’appelle Amélie, elle est belge et a passé une partie de son enfance au Japon.

Avec Stupeur et tremblements (c’est la manière dont le sujet japonais doit s’adresser à son empereur, avec stupeur et tremblements), on fait connaissance avec la culture japonaise dans ce qu’elle a de plus difficile à comprendre pour les Occidentaux. C’est intéressant à découvrir mais le fonctionnement de l’entreprise japonaise reste difficile à comprendre pour le lecteur occidental. L’expérience japonaise de la narratrice fait penser à un rite initiatique. Même si elle ne supporte plus ce qu’elle fait, elle ne démissionne pas et va jusqu’au bout de son contrat. Une façon de boire le calice jusqu’à la lie. Et malgré cette expérience difficile, nippophile elle était, nippophile elle restera. En tant que lecteur, il est impossible de rester insensible à ce qu’elle vit. On ressent l’injustice de ce qu’elle subit, on se met en colère alors qu’elle reste docile et on l’admire pour garder un sang-froid exemplaire étant donné la situation.

Et que penser du style d’Amélie Nothomb ? J’ai aimé lire ce livre sans pour autant le trouver génial. Son expérience et son état d’esprit sont décrits sans fard, avec simplicité et en même temps avec une grande précision. De quoi me donner envie de livre un autre livre de cet auteur.

Ma note : 3/5.