Acide Sulfurique, Amélie Nothomb

J’avais encore un roman d’Amélie Nothomb dans ma bibliothèque. Il s’agit d’Acide sulfurique, un court roman qu’elle a publié en 2005.

acide sulfurique Nothomb

Acide sulfurique raconte l’histoire d’une émission de télé réalité d’un genre extrême. Intitulée Concentration, elle met en scène des individus qui ont été raflés dans des lieux publics et qu’on parque dans un camp de concentration. Les prisonniers sont gardés par des kapos, eux-mêmes des citoyens ordinaires également mais qui, à la différence des victimes, ont postulé pour obtenir ce rôle. Ces kapos encadrent les prisonniers et les soumettent à diverses réprimandes et brimades. Ce sont ces mêmes kapos qui ont entre leurs mains la vie des prisonniers. En effet chaque jour, les gardiens désignent deux personnes qui sont envoyées à la mort.

Rarement roman aura atteint son point Godwin aussi rapidement qu’Acide sulfurique. Je ne classerais pas ce roman dans les œuvres les plus réussies d’Amélie Nothomb. D’un sujet qui pourrait juste faire l’objet d’une nouvelle, elle tire un roman ramassé et efficace. Amélie Nothomb dénonce les émissions de télé réalité en grossissant le trait. Acide sulfurique tient plus de l’exercice de style que du pamphlet. On sait très bien que les émissions de télé réalité ne brillent pas par l’intelligence de leur propos et qu’elles s’adressent à des instincts de voyeurisme chez le téléspectateur. Le pire dans les émissions de télé réalité n’est pas que les téléspectateurs votent pour éliminer des individus ou que les participants dévoilent tout devant les caméras. Non le pire c’est que les candidats se portent volontaires pour participer à de telles émissions. Là où Amélie Nothomb se trompe, c’est qu’elle désigne les prisonniers comme les véritables vedettes du spectacle alors qu’ils ne sont pas acteurs, ils subissent le concept. Les vraies vedettes ce sont ceux qui ont voulu être kapos dans ce concept. Ce sont leurs motivations à eux et leurs réactions devant les situations qu’on leur propose qui seraient les plus intéressantes dans le concept de Concentration. Reste que ce n’est qu’un exercice de style parce que les autorités, les médias et les téléspectateurs du roman qui tolèrent le jeu en s’indignant ne pourraient pas se comporter de la sorte en réalité. C’est donner aux organisateurs de l’émission un pouvoir et une volonté qu’ils n’ont pas. La triste histoire du candidat de Koh-Lanta, volontaire pour souffrir privations et épreuves physiques, décédé pendant le tournage rappelle que les sociétés de production ont une responsabilité. Acide sulfurique est sans doute né d’une indignation légitime de l’écrivaine face à des concepts télévisuels nouveaux et choquants à plusieurs égards. Mais je pense que cette critique est datée. Quelques années après Loft Story et autres îles de la tentation, le concept de téléréalité s’est banalisé. On pourrait penser que c’est grave, surtout quand on voit des concepts de télé réalité qui recyclent des candidats d’autres émissions (les anges de la télé réalité). Mais il faut retenir que le téléspectateur n’est pas dupe. Il a appris à prendre du recul sur ces concepts. S’il se laisse volontiers divertir, il arrive à prendre de la distance face à ce qui lui est présenté sur écran.

Acide sulfurique laisse tout de même quelques passages intéressants sur la notion d’identité niée (les prisonniers ne sont que des matricules telle CKZ 114). La figure de Pannonique, la prisonnière suivie dans le roman, est elle aussi traitée de manière intéressante : elle est à la fois inflexible et pleine d’amour mais aussi déterminée et prompte à pardonner les comportements de ceux qui l’attaquent. Cette figure christique évoque la notion de résistance et de sacrifice. Ce personnage est ce qui sauve le roman de la caricature.

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Hygiène de l’assassin, Amélie Nothomb

Je vous disais en novembre 2007 vouloir faire une pause de quelques mois en ce qui concerne les livres d’Amélie Nothomb. Cette pause aura tout de même duré 3 ans et demi, jusqu’à ce que je me décide à me lancer dans la lecture d’Hygiène de l’assassin, le premier roman d’Amélie Nothomb paru en 1992.

Un écrivain célèbre vivant comme un reclus reçoit plusieurs journalistes les uns après les autres. Malgré son âge avancé, il les démolit complètement par ses colères, sa répartie et son mode de vie jusqu’à ce que se présente une jeune femme sur qui ses manières de rustre n’ont pas de prise.

Ce qui m’a surpris de prime abord est le fait que ce roman est composé dans sa totalité de dialogues. Ces derniers donnent un rythme soutenu au roman, d’autant que les différents interlocuteurs se répondent du tac au tac et font preuve d’une répartie cinglante. Le texte est digne d’une pièce de théâtre. A-t-il déjà été adapté sur une scène ? Il est savoureux de lire les différents personnages jouant au chat et à la souris afin de se prendre mutuellement en défaut.

Le roman est percutant aussi sur le fond. Les interviews de l’auteur nous entraînent dans les bas fond de l’être humain ou plutôt dans une réalité très physique. Le contraste est saisissant entre la volonté d’abstraction des trois premiers journalistes et ce romancier très ancré dans le physique. Il est question d’abus de nourriture, d’obésité, de handicap, de soumission, de sexualité, d’ inceste et de meurtre. Le lecteur en prend plein la vue. L’enfance du romancier, histoire dans l’histoire, ajoute une certaine profondeur au roman en abordant le thème du paradis perdu et du refus de grandir.

Entre gore et gothique, Hygiène de l’assassin est un très bon roman. Quand on pense que c’est un premier roman, on comprend que la critique se soit enthousiasmée pour Amélie Nothomb et son style. Me voilà donc réconcilié avec Amélie Nothomb et je ne pense pas attendre 3 ans et demi avant de me lancer dans un autre de ses romans.

 

Du même auteur :

Février 2008

Comme d’hab à la fin de chaque mois, voici quelques statistiques. Ce mois-ci les articles les plus populaires de ce blog auront été :
Le bruit et la fureur de William Faulkner
Stupeur et tremblement d’Amélie Nothomb
Ni d’Ève et d’Adam, le dernier roman en date de la même Amélie Nothomb.

J’ai été silencieux ces derniers temps car bien occupé par une grosse lecture passionnante. Plus de nouvelles bientôt ! Et merci à tous pour vous visites toujours plus nombreuses.

Ni d’Ève ni d’Adam, Amélie Nothomb

Dans son dernier roman, Amélie Nothomb nous raconte sa vie au Japon à la même période que Stupeur et tremblements. Surprise pour le lecteur : elle n’a pas passé la totalité de son séjour à se faire hurler dessus par ses supérieurs et à jouer la dame pipi dans son entreprise. En fait, elle a été étudiante au Japon pendant un an avant de faire son stage traumatisant.

Eve Adam

Comme pour les autres livres d’Amélie Nothomb que j’ai lus, il est difficile de résumer Ni d’Ève ni d’Adam sans livrer plusieurs passages du livre.
Alors étudiante au Japon, Amélie passe une petite annonce dans un supermarché pour donner des cours de français. Un jeune Japonais nommé Rinri répond à l’annonce car désireux d’améliorer sa maîtrise de la langue de Molière. Les premiers échanges sont très drôles car Rinri ne parle pas français du tout. Il possède quelques rudiments mais il est au départ loin de soutenir une conversation. Amélie fait donc connaissance avec ce Tokyoïte iconoclaste pour qui les traditions séculaires de son pays sont souvent gênantes. Amélie est de son côté une occidentale nippophile. Ils vont petit à petit faire connaissance et se rapprocher.

Avec Ni d’Ève ni d’Adam, on passe au travers de thèmes comme le couple, la vie amoureuse, la nourriture japonaise et occidentale, la montagne (une grande passion pour la narratrice) et la famille japonaise. J’aime beaucoup le style bien à elle qu’emploie Amélie Nothomb pour nous emmener dans toute une série d’anecdotes. Elle a un regard particulier sur le quotidien qui fait que la moindre anecdote devient une véritable aventure. Elle emploie beaucoup l’humour et une certaine ironie pour relater certains épisodes de sa vie. C’est peut-être une façon de se cacher, de mettre une distance. En fait Amélie Nothomb nous dévoile des pans importants de sa vie, mais elle fait preuve en même temps d’une grande pudeur, elle ne se livre pas tout à fait.

J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce livre. Décidément j’aime bien les livres d’Amélie Nothomb. Mais j’aimerais varier ce que je lis d’elle. Les trois livres que j’ai lus étaient autobiographiques et se passaient au Japon. C’est plaisant mais je crois qu’elle a écrit d’autres livres intéressants. Et comme de mon côté je ne veux pas me lasser, je vais abandonner Amélie Nothomb pour au moins quelques mois. Histoire de me refaire une virginité.

Ma note : 4/5

Du même auteur, voir aussi Stupeur et tremblements et Métaphysique des tubes.

Métaphysique des tubes, Amélie Nothomb

Je poursuis ma découverte d’Amélie Nothomb entamée avec Stupeur et tremblements. J’ai un peu plus apprécié Métaphysique des tubes, sans doute parce que le ton y est un peu plus léger. Le récit se déroule aussi au Japon et est également autobiographique. Sauf qu’il s’agit cette fois du premier séjour d’Amélie au Japon. L’archipel nippon est en fait l’endroit qui a vu naître Amélie alors que son père était un diplomate en poste pour la Belgique. Dans Métaphysique des tubes, elle raconte sa vie de petite fille, de bébé même, de sa naissance à ses trois ans.

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Le bébé Amélie n’est pas un être très actif. Elle se résume elle-même comme un tube (d’où le titre du roman), son corps n’assurant que les fonctions digestives. Elle reste de long mois inactives, apparemment en retard sur le développement normal d’un nourrisson. Mais elle vient à la vie grâce à sa grand-mère qui lui fait goûter un morceau de chocolat belge. Savoureux, non ? Le récit se poursuit et compte de nombreuses anecdotes sur sa petite enfance. Elle se décrit comme une petite princesse à qui tout le monde doit le respect, à commencer par ses parents mais aussi sa soeur et son frère avec qui les relations ne sont pas faciles. Ce narcissisme est entretenu par la domestique japonaise qui travaille chez les Nothomb et qui est aux petits soins pour Amélie. On sent la tendresse particulière de l’auteur envers son père qui tout Belge qu’il était n’a pas eu peur de se mouiller et de se lancer avec intérêt dans le théâtre traditionnel japonais, le Nô. Une forme d’art qui se résume apparemment à des borborygmes pour le néophyte. On retrouve ce même père qui tombe dans un trou d’égout (un trou d’homme comme on dit au Québec, traduction littérale du manhole anglais) alors qu’il se promène avec sa cadette par un jour de pluie. Métaphysique des tubes compte aussi quelques moments tragiques mais racontés comme s’il s’agissait d’épisodes anodins. Amélie a failli mourir deux fois : une fois lors d’une baignade dans la Mer du Japon et l’autre fois lors d’un événement qui nous est présenté comme une tentative de suicide alors qu’elle nourrissait ses trois carpes. Amélie a horreur des carpes, c’est quasiment une phobie. D’ailleurs, j’ai trouvé intéressant son point de vue sur les répulsions des gens :

Il m’arrive de penser que note unique spécificité individuelle réside en ceci : dis-moi ce qui te dégoûte et je te dirai qui tu es. Nos personnalités sont nulles, nos inclinations plus banales les unes que les autres. Seules nos répulsions parlent vraiment de nous.

En résumé, j’ai trouvé Métaphysique des tubes très agréable à lire. J’ai beaucoup aimé le regard incroyable que la très jeune narratrice pose sur le monde des adultes. En tant que lecteur, on n’est pas dupe, on sait que c’est romancé. Mais c’est très bien fait et on aime ça. On se laisse raconter une belle histoire.

J’aime de plus en plus le style d’Amélie Nothomb, fait de phrases courtes, finement ourlées. Le ton est parfois un peu précieux mais la qualité de la langue est fantastique. J’ai appris deux mots lors de la lecture de ce livre. Le premier est zinzolin et désigne une couleur. Il s’agit d’un rouge violacé, qui tire sur le pourpre. Ainsi le ciel japonais aurait la caractéristique d’être zinzolin au crépuscule. Le deuxième mot est anadyomène. Cet adjectif est d’origine grecque et signifie qui sort de l’eau, qui émerge. Comme le père d’Amélie Nothomb lorsqu’il remonte trempé de son trou d’égout.

Ma note : 4/5

Stupeur et tremblements, Amélie Nothomb

Après des années à avoir entendu parler du phénomène Amélie Nothomb, je me suis résolu à me faire ma propre opinion en lisant un de ses romans. Le premier sur lequel je suis tombé à la librairie fut donc Stupeur et tremblements avec sa couverture toute bizarre : une Amélie Nothomb et maquillée à la façon d’une geisha, visage figé et yeux écarquillés.

 

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De quoi ça parle donc ? D’une jeune fille de 22 ans qui fait un stage dans une grande entreprise japonaise. Ladite jeune fille est européenne et va vivre un véritable choc avec la culture d’entreprise japonaise. La narratrice va apprendre ces différences sur le tas et à la dure, auprès de collègues et supérieurs sans pitié. Bien que nippophile, elle va se heurter à une culture et un système de valeur où la hiérarchie est clairement établie, où les initiatives personnelles ne sont pas les bienvenues, où l’individu n’a pas son mot à dire et où on ne vire pas les gens, on les pousse à la démission. Cela va même aller très loin : on lui fait admettre publiquement qu’elle est trop stupide pour travailler correctement et on lui confie la tâche très ingrate d’assurer l’entretien des toilettes de l’entreprise. Une situation qu’on n’hésiterait pas à qualifier de harcèlement moral.
A noter que le récit est fortement autobiographique. Elle ne le dit pas directement mais la narratrice s’appelle Amélie, elle est belge et a passé une partie de son enfance au Japon.

Avec Stupeur et tremblements (c’est la manière dont le sujet japonais doit s’adresser à son empereur, avec stupeur et tremblements), on fait connaissance avec la culture japonaise dans ce qu’elle a de plus difficile à comprendre pour les Occidentaux. C’est intéressant à découvrir mais le fonctionnement de l’entreprise japonaise reste difficile à comprendre pour le lecteur occidental. L’expérience japonaise de la narratrice fait penser à un rite initiatique. Même si elle ne supporte plus ce qu’elle fait, elle ne démissionne pas et va jusqu’au bout de son contrat. Une façon de boire le calice jusqu’à la lie. Et malgré cette expérience difficile, nippophile elle était, nippophile elle restera. En tant que lecteur, il est impossible de rester insensible à ce qu’elle vit. On ressent l’injustice de ce qu’elle subit, on se met en colère alors qu’elle reste docile et on l’admire pour garder un sang-froid exemplaire étant donné la situation.

Et que penser du style d’Amélie Nothomb ? J’ai aimé lire ce livre sans pour autant le trouver génial. Son expérience et son état d’esprit sont décrits sans fard, avec simplicité et en même temps avec une grande précision. De quoi me donner envie de livre un autre livre de cet auteur.

Ma note : 3/5.