Trois femmes puissantes, Marie Ndiaye

Marie Ndiaye s’est vue remettre le prix Goncourt 2009 pour son roman Trois femmes puissantes. Il s’agit d’une distinction bien méritée étant donné la grande qualité de cet ouvrage.

Comme le titre le laisse entendre, ce roman tourne autour de trois femmes qui ont comme point commun d’être originaires du même pays d’Afrique, le Sénégal.

Norah est dans la trentaine. C’est une mère célibataire qui tente de construire tant bien que mal une famille recomposée avec un père et sa fille. Elle retourne au pays à la demande son père qui a abandonné sa famille en France des années auparavant. C’est avec réticence que Norah renoue avec un patriarche déchu et solitaire. Un événement qui l’amène à se questionner sur la force des liens familiaux.

Fanta, elle, a quitté son pays pour suivre son mari Rudy. Malheureusement ce déplacement ne lui réussit pas : elle ne peut pas travailler en France et son mari, figure masculine désorientée, devient taciturne et tourmenté. Leur couple bat de l’aile et le propre fils de Rudy a peur de son père.

La troisième, Khady Demba, faute d’avoir pu donner un enfant à la famille de son mari décédé, est forcée de prendre le chemin de l’exil vers une Europe dont elle ne sait rien. Ballottée au gré de rencontres, elle vit la misère des migrants.

Les trois récits qui composent ce livre de Marie Ndiaye sont indépendants les uns des autres si on excepte un lien ténu entre les personnages. Ce sont presque 3 nouvelles, l’unité vient des thèmes traités. Pour ces trois femmes, la famille et ses non-dits sont très pesants et le déracinement est toujours douloureux. Ces trois femmes subissent les choix des autres. J’hésite pourtant à les qualifier de victimes car elles ont une voix qui leur est propre, une individualité, d’où cette puissance qui émane d’elles. Elles demeurent debout face à l’adversité.

J’ai plus apprécié le récit mettant en scène Rudy que les deux autres. C’ets le texte le plus long des trois mais aussi le plus abouti de mon point de vue. C’est aussi le seul traité du point de vue de l’homme. Et Marie Ndiaye parvient dans celui-ci à rendre compte des pensées tourmentées de Rudy de manière remarquable. D’ailleurs l’écriture est d’une grande qualité. Je salue le choix minutieux des tournures qui sont parfois alambiquées mais qui témoignent d’une grande maîtrise de la langue. Les récits intérieurs, mêlant présent et passé, sont un modèle du genre.

La symbolique des oiseaux est frappante dans Trois femmes puissantes : le père tourmenteur est perché dans le flamboyant, la buse est comme envoyée par Fanta pour punir Rudy et dans le cas de Khady Demba, les oiseaux sont annonciateurs de la mort.

Trois femmes puissantes n’est pas forcément un livre pour le grand public mais il saura séduire ceux qui ont envie d’explorer une certaine intériorité et de faire connaissance avec une auteure talentueuse.

18 réflexions au sujet de « Trois femmes puissantes, Marie Ndiaye »

  1. J’ai également préféré le récit de Rudy (lui ai trouvé des accents djianesques).
    Pour le reste, j’ai trouvé moyen, prétentieux. presque bâclé.

    Et je ne sais pas si tu as remarqué, alors que les 3 récits sont écrits à la 3ème personne, il y a parfois de brefs passages à la première personne. Je les ai relus plusieurs fois sans comprendre le pourquoi du comment….j’ai même pensé qu’il s’agissait de négligences..

    J’aime

    1. Tu es un lecteur plus exigeant que moi. Je n’avais pas remarqué les changements de narrateur.
      Je te concède que le style peut parfois être ampoulé mais je maintiens que j’ai trouvé ce roman très bon.

      J’aime

  2. Très belle critique. J’ai personnellement pensé que la buse incarnait plutôt la mère de Rudy, qui est pour moi la femme puissante de la 2ème nouvelle. Il est intéressant de constater qu’il écrase cette buse après son entretien final avec sa mère…

    J’aime

      1. On peut effectivement le voir comme cela. Mais il me semble que les oiseaux nous donnent la bonne interprétation. Fanta me parait plutôt une femme desespérée, voir résignée, jusqu’à la compréhension de la disparition de sa belle-mère…

        Il est intéressant de découvrir la vraie nature de cette vieille dame qui sous des aspects simplets cache une force sous-estimée même par son propre mari… c’est ma compréhension.

        J’aime

  3. Pas plus exigeant que toi je pense…mais quand il y a des fautes comme ça dans un Goncourt, je me pose des questions..maintenant, je ne suis pas surpris que tu ne les aies pas remarqué : j’ai l’impression d’être le seul.

    Mais j’ai pris bcp de plaisir à le lire..et c’est en le refermant que je lui ai trouvé un goût d’inachevé. J’aurais aimé que les trois histoires se rencontrent, d’ailleurs tout au long du roman j’avais l’impression que l’auteur avait l’intention d’opérer une jointure..que finalement elle n’a pas fait..comme si elle avait abandonné son projet en cours de route.

    Je me prends trop la tête.

    J’aime

    1. J’ai aussi attendu l’arrivée d’un lien plus évident entre les 3 récits. Mais ça ne m’a pas gêné tant que ça dans mon plaisir à lire ce livre.
      Je ne sais pas si tu te prends trop la tête. Ça signifie que la lecture de bons livres (car Trois femmes puissantes est un bon livre) fait réfléchir. Sinon tu ne lirais que des romans de gare je suppose…

      Aimé par 1 personne

  4. Non, cher Loïc, la jointure est pour moi réalisé au travers de la métaphore animalière que Phil décrit assez bien. Cette piste est suggérée à chaque fin de nouvelle. Le combat que vont se livrer Norah et son père sur un domaine spirituel illustré cette étrange photographie sur une branche du flamboyant du patriarche. L’écrasement de la buse qui est le signal d’un nouveau départ, d’une libération de Rudy de la tutelle de sa mère. La joie de Fanta est sans équivoque. Elle a perçu cette rupture. Et enfin, la fin du combat pour Khady Demba. L’oiseau s’en vole. L’oiseau est souvent une image de l’âme des hommes. Pour prendre une image des Evangiles, quand Jésus se fait baptiser dans le Jourdain, c’est une colombe qui descend sur Lui, métaphore du Saint-Esprit.

    Ce roman est complètement abouti. Mais il faut en saisir tous les codes. J’avoue avoir peiné à le lire, mais une fois fini, j’ai réalisé la puissance de ce texte et la maîtrise des symboles par Marie Ndiaye. Pour info, la légende veut que dans certains pays africains les êtres malfaisants ou les sorciers dorment comme les hiboux ou les chouettes sur des arbres.

    Aimé par 1 personne

    1. De mémoire, ce n’est pas la première fois que Marie N’Diaye travaille la symbolique des oiseaux. Je me rappelle avoir été frappée par plusieurs scènes marquantes pour cette raison dans La sorcière. Mais je l’avais lu peu après sa sortie, et c’était un emprunt de bibliothèque.

      J’ai également apprécié la lecture de Trois Femmes Puissantes. Surtout la deuxième partie; l’écriture peut paraître poussive, mais je trouve qu’elle décrit impeccablement l’enlisement, les circonvolutions stériles du personnage que l’on suit.

      Et je suis d’accord qu’un livre qui fait autant débat est un bon livre.

      J’aime

  5. j’ai bien aimé ce roman très bien écrit et plutôt émouvant, surtout la dernière histoire, celle de Khady qui est à la fois d’une grande force et qui se termine de manière vraiment triste. C’est un très beau livre

    J’aime

    1. Le récit mettant en scène Khady Demba fait écho à une triste réalité en effet. J’entendais hier un reportage à la radio à propos du cinquantenaire de l’indépendance du Sénégal. Une des personnes interrogées déplorait que les jeunes risquent leur vie sur des pirogues pour essayer de rejoindre l’Europe. Un texte très actuel donc. Presque un témoignage.

      J’aime

  6. Je viens de terminer ce livre et je rejoins un peu l’avis de Loïc car j’aurais aussi aimé que ces 3 histoires se rejoignent. Il est question de la prison de Reubeuss dans les deux premières histoires & Khady Demba apparaît dans la première histoire.

    Merci à Phil pour cette analyse & la métaphore des oiseaux

    J’aime

  7. Je crois que c’est la première fois que je lis qu’un lecteur a préféré le deuxième récit. Bon, je ne sais toujours pas si j’ai vraiment envie de le lire, alors j’attends se sortie en poche. 😉

    J’aime

    1. Le deuxième récit est celui que j’ai trouvé le plus complet et le plus abouti. C’est celui où le talent de Marie Ndiaye se révèle le plus. Je ne néglige pas non plus les autres qui sont très bons aussi.

      J’aime

  8. Bonjour Philippe;

    Ravi de trouver un autre bloggueur littéraire dans les parages ! Première fois que je viens ici, si je n’abuse! Bel article sur Trois femmes puissantes.
    Pour ma part, j’ai quand même préféré la première histoire, qui m’a semblé la plus symbolique, et les plus aboutis au niveau des caractères des personnages et de leur confrontation.
    Mais à chacun ces goûts de lecteur !

    J’ai découvert Ndiaye avec ce livre, et ça m’a donné envie d’aller plus loin.
    ma chronique: http://www.leglobelecteur.fr/index.php?post/2010/01/24/Marie-Ndiaye-Trois-femmes-puissantes

    @bientôt!

    J’aime

  9. J’ai terminé la lecture hier et je suis encore à savourer l’histoire, à me poser des questions, à tenter de trouver des liens entre ces 3 récits. La description de la dernìère histoire est fascinante, j’en avais presque mal aux mollets… ;-).

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire