Martha, Marie Laberge

Je m’aperçois que je ne suis pas encore revenu sur le projet Martha de Marie Laberge. Et ce, plus de deux mois après avoir reçu ma dernière lettre.

J’ai donc bel et bien reçu 26 lettres d’une femme prénommée Martha. Au rythme d’un envoi tous les 15 jours, j’ouvrais une lettre de cette femme qui s’adressait à moi par mon prénom et qui me donnait des nouvelles de sa vie et de sa famille. Voici en photo ce que représente une année de lettres de Martha. Chacune de ces lettres faisait entre 3 et 4 pages.

Je trouvais (et je trouve toujours) que cette idée d’envoyer des lettres était excellente. J’arborais un petit sourire chaque fois que j’ouvrais ma boîte aux lettres et que j’y trouvais une lettre de Martha. Il y a un certain plaisir à voir un auteur nous écrire et s’adresser à nous directement. C’est bien sûr artificiel mais ça fait partie de l’expérience. J’ai ouvert et lu ces lettres au fur et à mesure de leur arrivée.

Qui est donc cette Martha ? C’est une femme qui approche la fin de la cinquantaine et qui tient une boutique de fleuriste. Elle m’a écrit au départ comme on renoue avec un vieil ami alors que la plus jeune de ses trois enfants venait de quitter son foyer pour voler de ses propres ailes. Martha est divorcée. Elle s’est habituée à une certaine solitude amoureuse jusqu’à ce qu’elle fasse la rencontre de Marcel. S’ensuit une chronique de sa vie amoureuse, des déboires de ses enfants et petits-enfants et autres péripéties liées à l’actualité. Le récit est fait au lecteur sur le ton de la confidence. On se sent donc invité dans le quotidien de cette femme.

Un défaut qui est lié au fait de recevoir des lettres toutes les 2 semaines est que d’une lettre à l’autre j’oubliais parfois de quoi il était question dans les lettres précédentes. Il y a un côté fugace pour les gens comme moi qui n’ont pas une grande mémoire pour les détails. D’un point de vue strictement littéraire, ce n’est pas la révolution. C’est solide mais ça demeure d’un accès facile pour le grand public. C’est d’ailleurs là le but de ce projet : aller chercher un public de monsieur et madame tout-le-monde qui ne va pas forcément dans les librairies ou les bibliothèques. Pour ma part, j’ai décidé de ne pas me réabonner pour la deuxième année (Marie Laberge a d’ores et déjà indiqué que les lettres de Martha continueraient jusqu’en 2011) car si je regarde le prix des lettres de Martha on est très au-delà de la moyenne du prix d’un livre.

Je pense que Martha a connu un bon succès en 2009. J’ai vu passer le chiffre de tantôt 25 000 tantôt 42 000 abonnés, ce qui me paraît énorme. En tout cas bien plus que ce qu’un livre moyen réalise comme ventes en librairie. Histoire de mettre les choses en perspective : pour être considéré comme un best-seller au Québec, il faudrait vendre selon les sources entre 1 500 à 3 000 exemplaires.

Et puisque nous parlons chiffres, livrons-nous à un petit exercice :
Chaque lecteur paie 34 dollars + taxes au début de l’année pour recevoir 26 lettres de Martha. Martha représente donc un chiffre d’affaires qui selon le nombre d’abonnés oscille entre 850 000 et 1 428 000 $ par an.

Essayons ensuite d’évaluer les frais les plus évidents pour faire tourner cette opération :
– Chaque lecteur représente un coût en timbres de : 26 x 57c = 14,82 $ par an par lecteur. C’est le plus gros poste de dépenses (43 % du chiffre d’affaires). Il est incontournable.
– Pour le papier, il en coûte environ 40 dollars pour 2500 feuilles chez Bureau en Gros, soit un coût de 6,4 c par lettre de 4 pages. Donc 26 lettres x 6,4c = 1,66 $ de papier par lecteur par an.
– Les enveloppes : 17 dollars pour 500 enveloppes soit 88 c pour 26 enveloppes par lecteur par an.
– Cartouches d’encre : allouons un gros 1,5 $ par an pour imprimer les pages et les enveloppes d’un seul lecteur. Pour simplifier, je n’inclus pas le coût d’achat de l’imprimante qui ne représente pas grand chose par lecteur.

Le total des frais en fournitures est donc de 18,86 $ par lecteur par an.

Il reste 15,14 $ par lecteur pour payer une boîte postale pour l’adresse de retour, pour rémunérer les petites mains qui impriment, plient et postent les lettres. Et bien sûr l’auteure elle-même. Et j’oublie sans doute quelques frais généraux et administratifs.

Comparativement au circuit d’édition classique (éditeur et librairie), il y a pas mal d’intermédiaires en moins. Marie Laberge est sa propre éditrice et Postes Canada joue le rôle de distributeur. La publicité s’est faite d’elle-même étant donné la notoriété bien établie de Marie Laberge et le côté original de son projet. Tous les achats s’effectuent par le biais du site internet de Marie Laberge.

Je vous laisse imaginer un profit par lecteur et multiplier ce chiffre par le nombre d’abonnés. Sauf si j’oublie quelque chose dans les coûts, les lettres de Martha sont donc une opération rentable. Qui a dit qu’on ne pouvait pas vivre de la littérature au Québec ?

13 réflexions au sujet de « Martha, Marie Laberge »

  1. Intéressant cette façon dont tu as décortiqué les frais… Pas surprenant qu’elle ait décidé de poursuivre cette aventure encore un peu. En même temps, si l’auteure n’avait pas déjà été une « vedette », personne – ou presque – ne se serait abonné à cette formule.

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    1. Oui j’imagine que si je lance un projet similaire demain matin, je serai content si j’ai 3 abonnés. C’est clair que la notoriété de Marie Laberge est un facteur essentiel dans la réussite de ce projet.

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  2. J’avais fait à peu de chose près ces calculs. Parce qu’il y a eu beaucoup de calcul de ma part avant de prendre une décision, et ma décision a été celle-ci : c’est trop cher pour ce que cela va me rapporter. Je me souviens du cas de Caroline qui voulait tenter l’expérience de la France, mais là, c’était franchement astronomique comme prix. Elle a décidé que non.

    Je me souviens la première journée où Marie Laberge a passé à Christiane Charette qui justement avait touché le sujet du prix, que ça pourrait être intéressant pour un auteur de couper sur les intermédiaires. Madame Laberge a été catégorique : elle allait perdre de l’argent, c’était pour ainsi dire certain ou ce serait, au mieux, gagnant-gagnant. C’est une fantaisie qu’elle s’offrait, en plus, elle prenait le risque d’être déficitaire. Faut dire qu’elle avait parlé de la conception de son site web, elle partait de zéro, elle en avait pas avant. Elle calculait ces frais-là aussi.

    Elle est la première surprise de ce succès, paraîtrait-il. Mais à la lumière des chiffres que tu as enligné, je LA comprends de continuer et je TE comprends d’arrêter !

    Si vous voulez un service réellement personnalisé, adressez-vous à moi ! J’offre un service réellement personnalisé de correspondance. J’ai d’ailleurs quelques personnes d’inscrites.

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    1. Oui c’est vrai qu’il y a les coûts reliés au site internet qui gère les commandes. Ça peut monter vite. C’est à intégrer dans les coûts de lancement.
      Il est vrai qu’au départ Marie Laberge prenait un risque un peu fou. Rien ne laissait présager autant d’abonnés. Elle a bien fait de se lancer dans ce projet à la lumière des résultats.

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  3. Bonjour Phil,
    Je suis allée sur le site de la recrue du mois dans l’espoir d’y voir ta critique de la canicule des pauvres (que je suis en train de lire!). Si je peux me permettre un commentaire sur ce site qu’est la recrue du mois (comme tu fais partie de l’équipe) je trouve que le site n’est pas «friendly-user»…On arrive sur la page d’accueil avec l’intro et ensuite on ne sait pas trop où aller et où trouver l’information… Si je clique sur le livre de Desrochers, j’arrive avec le braconnier?? Je ne comprends rien!

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    1. La critique des membres de la recrue sera publié le 15 mars. C’est en effet la date retenue pour la publication des commentaires mensuels. J’ai terminé le livre il y a quelques temps et mon impression est positive (tout un scoop que je livre là !).
      Ta remarque à propos de la convivialité du site est tout à fait légitime. Cette question préoccupe notre équipe en ce moment et nous essayons de mettre au point un site qui mette en valeur à la fois les Recrues de chaque mois et les premiers ouvrages relus dans le cadre du repêchage. Nous sommes en train de retravailler le format pour que nos lecteurs s’y retrouvent plus facilement. Merci d’avoir pris le temps d’écrire à ce sujet.

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  4. Le dernier mercredi de l’année est célébré par les iraniens sous le nom de Chāhār Shanbe Sûri, moment où tout le monde sort dans la rue, fait des feux et saute par dessus en criant Zardie man az tou Sorkhie tou az man (littéralement: Je te donne ma couleur jaune, tu me donnes ta couleur rouge – celle du feu-, mais figurativement: je te donne ma pâleur – ou ma maladie-, je prends ta force – ta santé-.

    Offrir des pâtisseries connues sous le nom de Ajile Moshkel Gosha est la façon de remercier pour la santé et le bonheur de l’année passée, tout en échangeant toute pâleur et tout mal restant pour la chaleur et les vibrations du feu.

    D’après la tradition, les esprits des ancêtres rendent visite aux vivants les derniers jours de l’année, et beaucoup d’enfants s’entourent de draps, rejouant ainsi symboliquement les visites des morts. Ils courent aussi dans les rues en tapant sur des boîtes et des casseroles et frappent aux portes pour jouer des tours au gens. Ce rituel est appelé qashogh-zany (battage de cuillers) et symbolise le fait de chasser le dernier mardi de malchance de l’année.

    La tradition veut egalement que l’on saute dans l’eau le mercredi matin aux premiers rayons de soleil.

    Il y a plusieurs autres traditions cette nuit là, dont les rituels de Kûzeh Shekastan, pendant lequel on casse des jarres en terre qui contiennent symboliquement la mauvaise fortune de quelqu’un, Fal-Gûsh ou l’art de la divination en écoutant les conversations des passants et le rituel de Gereh-gosha-î, faire un nœud dans un mouchoir ou un tissu et demander au premier passant de le défaire afin d’éloigner la malchance de quelqu’un.
    on va aller de chaharshanbe suri …. je ecrirai sur le sudje .. .a proppos j*aime charlz bocofski ….

    🙂

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  5. Réponse à ta question « Qui a dit que… pas vivre d’écriture au Québec », quelque’un d’autre y a donné écho: tout le monde ne s’appelle pas Marie Laberge qui part avec une longueur d’avance.

    Quant au site Internet, ajoutons donc les coûts:
    Plus ou moins 15$ par année pour un nom de domaine.
    Et si elle sait choisir son hébergeur: (iweb par exemple: 1,67$ par mois si 10 ans http://fr.iweb.com/hebergement-web/), donc 20$ par année
    Son webmaître-concepteur de site, qui n’est pas identifié, peut lui avoir demandé entre 1000$ et 5000$ selon.

    Bref, ça peut représenter quel pourcentage?
    Mais tout art, peinture, écriture, sculpture ne s’évalue pas comme une marchandise. La réputation de l’artiste y est pour beaucoup. On ne paie pas un Robert Lepage, une Céline Dion, une Marie Laberge comme on paierait un pur inconnu.
    On peut calculer tant qu’on veut, on ne peut rien en conclure. Juste observer.

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    1. Merci pour ces précisions.

      Bien évidemment, cette question n’était posée que pour illustrer la différence entre les « vedettes » de la littérature québécoise et les autres. A ce sujet, voir la discussion née sur le blogue de Julie Gravel-Richard à propos de la rémunération des jeunes auteurs.

      Quant à la question de l’évaluation, je pense que l’exercice demeure intéressant à faire. Je suis loin de considérer l’écriture comme une marchandise mais la question du prix se pose tout de même pour le lecteur/acheteur. Et Marie Laberge a bien du elle aussi, en dehors des considérations purement artistiques, se poser la question de la rentabilité de l’expérience au moment de prolonger ou pas les lettres de Martha.

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  6. Eh! vous pouvez mettre des hyperliens dans vos commentaires. Chanceux. Ça me donnerait bien une raison de plus pour passer sous WordPress un jour, mais j’ai essayé pendant une heure, une fois, et c’est pire que de faire un site, alors j’ai renoncé.

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  7. Bonjour Phil,

    J’aimerais vous inviter ainsi que ceux et celles qui suivent votre blog à participer à un questionnaire au sujet des Nouvelles de Martha de Marie Laberge. Pour ce faire, il suffit de se rendre au http://www.lettrezvous.com. Ce questionnaire fait partie d’un mémoire de maîtrise que je rédige à ce propos.

    Merci, et au plaisir!

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